Chantal Pontbriand : Faits et gestes
Scène

Chantal Pontbriand : Faits et gestes

Depuis 1985, Chantal Pontbriand signe la programmation artistique du Festival international de nouvelle danse (FIND) avec l’aide de ses précieuses alliées: Diane Boucher et Dena Davida. Pour chaque édition, la fondatrice de la revue d’art contemporain Parachute met en lumière le travail de chorégraphes qui ont bouleversé (ou qui bouleverseront) les assises de la danse actuelle. Cette année, elle lèvera le voile sur la danse contemporaine africaine.

Voir: Comment se monte la programmation d’un festival de danse?

C. P. : Il y a toujours beaucoup d’hypothèses de travail dans l’air. On ne peut pas prévoir les scénarios longtemps d’avance étant donné qu’il s’agit d’actes contemporains. Il faut donc voir les choses qui nous apparaissent comme les plus pertinentes. Chaque programmation est une sorte d’oeuvre. On procède un peu de la même manière que les artistes: on vit une période de recherche pendant laquelle les idées s’accumulent. Puis vient la période d’incubation au cours de laquelle toutes ces idées se mettent en place. C’est à ce moment qu’on a des illuminations, qu’on devine ce qui apparaîtra le plus brûlant sur le plan de l’actualité artistique.

Combien de spectacles de danse vous et vos collaboratrices avez vus pour la préparation cette édition?

Environ 200. Pour ma part, ce qui m’importe dans le développement de la programmation, ce sont mes lectures, le cinéma et les expositions que je peux voir. Ils me permettent d’analyser les courants d’idées et de cerner les chorégraphies les plus pertinentes parmi celles qui se font à l’heure actuelle. La dernière biographie de Samuel Beckett, par exemple, aiguise autant mon acuité que dix spectacles de danse! C’est peut-être pour ça que je suis sévère et très peu tolérante lorsque je vais voir un spectacle.

Le choix de chorégraphes québécois vous pose-t-il un problème? Avez-vous l’impression d’avoir fait le tour du jardin?

Ce ne sont pas toutes les villes de trois millions d’habitants qui ont un milieu de danse aussi stimulant. Lyon, par exemple, qui propose un festival de danse d’envergure, n’est pas un lieu de création important. On pourrait, comme cette ville, faire un festival sans inviter les chorégraphes de l’endroit, mais Montréal regorge de chorégraphes très inspirants. Cela dit, l’existence de notre festival permet d’enrichir la qualité de la danse contemporaine d’ici. C’était une de nos volontés de départ.

Le FIND a décidé de mettre l’Afrique à l’honneur de la 9e édition? Qu’est-ce qui a motivé ce choix?

L’idée nous est venue il y a deux ans environ. Plusieurs filons nous ont amenées à nous intéresser à ce continent. Le premier, c’était Mathilde Monnier. En 1993, elle est allée en Afrique et a monté la très belle pièce Pour Antigone. À l’époque, je m’étais dit: \«Mais quelle idée d’aller créer sur ce continent!»

Un autre filon, ce furent les chorégraphes portugais (invités d’honneur à l’édition 1997). Leur danse organique est très proche de la danse contemporaine africaine. Et puis, il y a eu mon premier séjour en Afrique noire dans le cadre de la Biennale d’arts contemporains africains, à Dakar. Enfin, j’ai rencontré le jeune cinéaste malien Cheik Oumar SSoko. Il croit comme moi que la danse contemporaine et le cinéma africains sont en émergence. Finalement, l’équipe du FIND a décidé de plonger. En raison de la nouveauté de la danse contemporaine africaine – les chorégraphes ont à peine 25 ans – et des coûts de diffusion on savait que la conception de la programmation n’allait pas être facile.

Quel est votre plus grand plaisir en tant que diffuseur?

C’est de montrer aux autres ce qui m’enthousiasme. C’est aussi le désir d’être en contact avec des ouvres qui nous font faire des pas de géant et permettent d’élargir nos esprits. Ma première expérience s’est passée en 1974 à un spectacle de Philip Glass, à Cornwall. J’étais tellement emballée que je suis allée le voir après le spectacle, et je l’ai invité à venir se produire à Montréal, sans savoir comment j’allais faire.

Cette année, vous avez invité le Ballet de l’Opéra national de Lyon, ce qui représente des coûts assez exorbitants, non?

C’est une compagnie classique, mais innovatrice depuis longtemps. Elle invite les meilleurs chorégraphes contemporains du monde, et ses interprètes sont de très haut calibre. C’est sûr qu’on est très heureux de les accueillir, mais ça fait partie du volet "traditionnel" du Festival. En ce qui concerne les coûts, le cachet est proportionnel au nombre de danseurs et de techniciens. C’est ça aussi faire un festival: la liberté de présenter une variété d’ouvres permettant d’élargir le public.

Vous parlez d’élargir le public. Pourtant la tenue d’un colloque sur la danse contemporaine, se tenant en marge du Festival, ne touche qu’une infime partie du public…

C’est important de tenir ce colloque parce que le discours sur la danse est encore peu développé. On a invité tout ce que l’Amérique et l’Europe compte comme meilleurs critiques de danse. J’en suis très heureuse, car on envisage de publier les débats par la suite. Par ailleurs, il y a toujours eu des activités comme ça au FIND, mais c’est la première fois qu’elle prennent une telle ampleur.

Le théâtre semble s’approcher de plus en plus de la danse, alors que la danse, elle, se mêle de plus en plus aux arts visuels et au cinéma. Comment expliquez-vous ce phénomène de fusion?
J’ai toujours été une grande apôtre du métissage et de l’impureté. Je ne suis jamais entrée dans ces querelles d’identité, à savoir si ce que l’on voit est du théâtre ou de la danse. Cela dit, le théâtre vit une plus grande crise d’identité que la danse. Je pense que le corps est un langage en soi encore largement inexploré. C’est le langage du XXIe siècle.