Brèves de comptoir : L’écume des jours
En cinq ans et trois spectacles, le Groupe Audubon s’est imposé avec force dans le paysage théâtral, allant jusqu’à décrocher le Masque de la révélation de l’année en 1998. Si leur dernière production, Brèves de comptoir, n’est pas aussi maîtrisée que les deux spectacles précédents (Et Vian! dans la gueule et Ceci n’est pas un schmürz), elle n’en reste pas moins la preuve éclatante du travail rigoureux de cette troupe.
À l’affiche du Studio du Maurier du Monument-National, depuis la semaine dernière, Brèves de comptoir est un «picollage» de textes recueillis parmi la dizaine de best-sellers du même nom signés Jean-Marie Gourio, sur une idée originale de Carl Béchard.
L’auteur est rédacteur pour Les Guignols de l’info. Il a également travaillé aux iconoclastes Charlie-Hebdo et Hara-Kiri. Pour Brèves de comptoir, Gourio s’est basé sur ses propres observations des moeurs et coutumes de la faune urbaine parisienne accoudée au zinc des bars et des cafés à l’heure bleue de l’apéro. Du matériel en or, en somme, pour cet auteur qui porte un regard à la fois critique et amusé sur sa société.
Les membres du Groupe Audubon ont donc puisé dans ces courts textes pour en faire un spectacle d’un peu plus d’une heure dans lequel l’humour de Gourio est servi dans le registre de l’absurde. Le metteur en scène Jean-Stéphane Roy fait évoluer les comédiens autour d’une piste circulaire, avec un tricycle et trois comptoirs amovibles comme accessoires. Ils sont affublés de drôles de costumes et maquillés de façon clownesque (les premiers sont de Nadia Bellefeuille; et les seconds, de Solange Paradis). Une musique foraine composée par Stéphane Girouard ajoute à l’atmosphère du spectacle. Nous sommes bien dans un cirque. Le cirque de la vie, dans lequel, tel un funambule du quotidien, le quidam exécute sa longue marche vers la mort.
Cette proposition a certes le mérite d’être poétique. Sauf qu’elle ne colle pas toujours à l’univers cinglant du texte. Elle nivelle un peu le drame des personnages. Ces derniers auraient mérité d’avoir divers traitements. Sans tomber dans le naturalisme, le metteur en scène aurait pu s’éloigner de cet univers fantaisiste pour mieux refléter le drame de la condition humaine.
Réaffirmant l’attrait de la troupe pour le travail sur le langage, le mouvement et l’exploration du jeu des acteurs, Brèves de comptoir fait aussi la démonstration de l’excellente direction d’acteurs. L’unité de ton et de jeu est une caractéristique des spectacles d’Audubon. Jean-Stéphane Roy s’est entouré de Louise Lussier pour diriger la mise en mouvement des comédiens. Et encore ici, ils sont tous remarquables dans cet univers titi-parisien.
Mentionnons la douce folie de Patrice Dubois avec un personnage étrange et attachant qui nous rappelle que nous sommes au théâtre. Claude Gagnon compose avec beaucoup de sensibilité la solitude d’un homme qui entretient des rapports d’amour-haine avec son fidèle compagnon. On peut lire dans son visage les failles et les blessures propres à ces gens, qu’on dit ordinaires, à qui la vie a jamais fait de cadeaux. Marika Lhoumeau est, par moments, tout simplement explosive. Cette comédienne a un tempérament de grande actrice, et elle est à surveiller. Et les autres (Patrick Brosseau, Alexandre Gagné et Annie Saint-Pierre) jouent de façon très juste.
Finalement, malgré une mise en scène pas toujours à la hauteur du propos, Brèves de comptoir est un bon petit spectacle qu’on peut placer déjà dans les belles surprises de cette rentrée naissante.
Jusqu’au 25 septembre
Au Studio du Maurier du Monument-National
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