Le Soir de la dernière : Nuit blanche
Scène

Le Soir de la dernière : Nuit blanche

Longtemps moteurs de l’imaginaire québécois, le politique et l’histoire sont devenus, au détour des années 80, quasiment persona non grata sur nos scènes. Quand on ne les évacue pas carrément, ils donnent lieu à des pensums, genre ceux de Jean-Claude Germain et d’Antonine Maillet, l’an dernier. Période cruciale de notre histoire, la Crise d’octobre n’a pas encore, sauf erreur, inspiré de grandes pièces (les essais les plus récents, La Cité interdite, de Dominic Champagne, et Conte d’hiver `70, d’Anne Legault, étaient peu convaincants). Elle semble désormais devenue de la chair à comédie burlesque, si l’on en juge par le traitement que lui a réservé Robert Lepage au cinéma (Nô). Quand on ne tombe pas dans le simplisme…

Cette époque tumultueuse est abordée de biais dans la création d’Isabelle Doré, Le Soir de la dernière, où elle sert à la fois de contexte et de métaphore à l’histoire d’une jeune fille «à un tournant décisif» de son existence, en crise identitaire et en quête d’autonomie – vous saisissez le subtil parallèle?

Cassandre (Marie-Hélène Thibault), l’aînée responsable et réaliste sur laquelle tous comptent, est au bord de la crise de nerfs car sa famille entière vit plus ou moins dans un monde imaginaire: son grand-père chéri (Marc Legault), qui n’a plus toute sa tête depuis la mort de sa femme, est perdu dans ses souvenirs. Maman (Markita Boies) est une diva égocentrique qui oublie de cesser de jouer quand elle quitte la scène. Acteur et communiste de salon, beau-papa (Jacques Lavallée) a embauché une babouchka (savoureuse Micheline Poitras) pour apprendre le russe aux filles, même si, paradoxalement, elle est «la moins communiste de la maison». Et l’insupportable petite soeur en crise d’adolescence aigue (Caroline Roberge), qui impose ses caprices à la maisonnée, oscille entre deux rêves exaltés (dont épouser Paul Rose) et trois fausses, mais grandiloquentes, tentatives de suicide.

Isabelle Doré (César et Drana) a un assez bon sens du punch, c’est indéniable. Avec sa succession de situations outrancières et théâtrales, entrecoupée de longueurs, la pièce fait donc parfois rire. Mais elle présente un univers foncièrement artificiel (que le texte soit d’inspiration autobiographique ne change rien à l’affaire), dénué d’assise solide, où s’entrecroisent des personnages désincarnés dans leur démesure. Si bien que l’ennui s’installe sporadiquement.

Des personnages auxquels la production du Théâtre Jean-Duceppe, mal dirigée, n’arrive pas à donner chair. Si Marie-Hélène Thibault et, surtout, Marc Legault s’en tirent plutôt honorablement dans la peau de ceux qui possèdent le plus d’épaisseur humaine, les interprètes des «théâtreux» ne parviennent pas à dépasser la caricature. Même l’excellente Markita Boies n’a pas su toucher l’humanité de son stéréotype sur deux pattes. Le couple maniéré et superficiel qu’elle forme avec l’emphatique Jacques Lavallée semble tout droit échappé d’un boulevard français.

La mise en scène molle de Marc Grégoire (le décor à moitié naturaliste de Michel Demers est une bonne illustration de cette incertitude) est loin de résoudre les problèmes du texte, qui paraît lui-même au carrefour de plusieurs identités. En effet, Le Soir de la dernière allie le drame psychologique bourgeois (asserti de révélations-chocs, telle «on est tout seuls tout le temps»), la comédie fantasque et une allusive allégorie politique, où le simplisme le dispute au cliché: l’adolescente qui quitte le nid pour se prendre en mains et vivre sa vie… Comme quoi il y a des crises d’identité qui se solutionnent plus facilement que d’autres.

Jusqu’au 16 octobre
Au Théâtre Jean-Duceppe
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