Les Démons : Le diable, c'est l'ennui
Scène

Les Démons : Le diable, c’est l’ennui

Peut-on imaginer pire chose que de s’ennuyer au théâtre? À côté d’une pièce plate, la petite vie du commun des mortels est un drame plein de rebondissements. Car au théâtre, contrairement au cinéma, il n’y a aucun moyen de fuite; aucun montage ou plans séquences pour aider le spectateur à oublier, par exemple, la faiblesse du jeu ou celle d’une histoire. Voilà plusieurs années, le metteur en scène Peter Brook avait justement décrété qu’au théâtre «le diable, c’est l’ennui». Qu’importe la forme de sa proposition, un artiste de la scène doit avoir constamment le souci d’intéresser le spectateur.

Sans vouloir faire un procès d’intention, on peut se demander si Téo Spychalski, le directeur artistique du Groupe de la Veillée, a ce souci en tête lorsqu’il dirige une production? Pas vraiment, à en juger par sa mise en scène des Démons, une pièce créée en avril 1997, et reprise ces jours-ci dans son théâtre rebaptisé Prospero.

Il faut dire que La Veillée est «un ensemble de théâtre d’art et un atelier de formation». C’est en quelque sorte un laboratoire pour des jeunes acteurs. Ces derniers peuvent y dénicher de grands personnages héroïques; une chose plus difficile au TNM ou au Rideau Vert, où l’on préfère distribuer ces rôles à des comédiens connus. À chacun son mandat. Et, bien sûr, toute création comporte un risque artistique. Mais à quel prix?

Après L’idiot et Crime et Châtiment, c’est la trosième oeuvre de Dostoïevski produite par La Veillée. Téo Spychalski a adapté le roman dense et complexe du célèbre auteur russe, Les Possédés, pour en faire une création et non un condensé. Le spectacle dure trois longues heures. Bien qu’il soit traversé, ici et là, par quelques pensées visionnaires de Dostoïevski, ou par de brèves mais solides performances (celles de Gabriel Arcand, Patrice Savard, Carmen Jolin et Claude Lemieux), peu de choses justifient la reprise de ce spectacle.

Idéologiquement, Spychalski a retenu de cette période trouble de la Russie du XIXe siècle, le déchirement des protagonistes (Dostoïevski expose la douleur de l’âme russe dans toute sa grandeur) coincés entre la religion et la révolution, la tradition et la pensée socialiste naissante. Or, aujourd’hui, cet antagonisme est dépassé. À une époque où plus personne n’ose dire non à l’inexorable cours économique mondial, la liberté totale semble désormais une utopie. Le nihilisme qui traverse l’oeuvre a donc un goût surrané.

Dramatiquement, ça ressemble à une démontrastion pénible de mise en scène. Sans viser le spectaculaire ni l’artifice, doit-on tomber dans l’austérité pour autant? À côtés des Démons, un récital de chants grégoriens à Saint-Benoît-du-Lac devient aussi rythmé qu’un party Black’n’Blue!!!

Le metteur en scène a souvent recours aux noirs et aux temps morts pour les enchaînements. Les changements d’accessoires et les déplacements de comédiens sont malhabiles. En passant, est-il obligatoire de toujours faire entrer les interprètes par l’arrière de la salle? Jadis une proposition scénique «audacieuse», ce procédé est devenu une risible marque de commerce à La Veillée.

Mais le pire, c’est la direction d’acteurs. En entrevue, Spychalski affirme que «la mise en scène doit servir l’acteur». Or ici, en les laissant tout faire, sans nuancer leur jeu ou dresser une ligne de conduite, elle les dessert tout simplement. Le spectateur peut observer plusieurs registres et tempéraments dissonants. Comme si chaque acteur tirait la couverte de son bord pour nous dire: «Regardez comme je suis INTENSE!»

Dans le genre, Marie-Claude Langlois gagne la palme d’or. Elle joue son personnage d’hystérique de façon tellement appuyée et caricaturale (sa voix, son rire, ses gestes, son attitude corporelle, tout est surjoué) qu’elle en devient irritante. Patrice Savard maîtrise mieux son personnage sombre et tourmenté. Toutefois, aucun acteur n’arrive à nous émouvoir.

Pour reprendre ce mot de Varvara Petrovna (Carmen Jolin) dans la pièce: «C’est le diable qui nous leurre et nous fait touner en rond.» Hélas, ce démon semble hanter les coulisses de La Veillée.

Jusqu’au 25 septembre
Au Théâtre Prospero
Voir calendirer Théâtre