Scène

Marie-Thérèse Fortin : La double vie de Marie-Thérèse

Devant l’oeil de la caméra ou dans les coulisses du Trident, MARIE-THÉRÈSE FORTIN est en ce moment très en demande, entre Québec et Montréal, théâtre et télévision, travail et famille… Essouflée, Marie-Thérèse? Parfois. Comblée? Ça,  sûrement!

Flash-back

C’est du Bas du Fleuve que vient la comédienne, «d’un plateau où on a une vue extraordinaire, sur la côte et sur le Saint-Laurent». Assez tôt, elle y tâte de la scène. «Jeune, je faisais déjà du "spectacle", pour m’amuser. À la polyvalente, j’avais une copine avec qui on faisait de la musique, des imitations, des monologues. On ne se prenait pas au sérieux, et on ne pensait surtout pas en faire une carrière! Mais j’aimais ça; sans oser trop l’avouer…» Elle développe ce goût au Cégep de Matane, où elle joint la troupe de l’école, alors dirigée par … Michel Marc Bouchard, occupé à l’époque par des études en tourisme.

Puis, la confiance d’un professeur l’incite à faire les auditions dans toutes les écoles de théâtre. «Mon prof m’a beaucoup encouragée. J’adorais le théâtre, mais de là à franchir le pas… Une chance que j’ai été poussée: je ne suis pas sûre, autrement, que je me serais lancée.» Tout de suite, elle est acceptée au Conservatoire d’art dramatique de Québec. De là, migration dans la capitale, où elle habite depuis.

La suite? Travail de création, personnages à la télé, rôles sur différentes scènes de Québec. Et cet automne, pour la 3e année, Marie-Thérèse Fortin est directrice artistique du Théâtre du Trident, et une des têtes d’affiche d’une toute nouvelle série télévisée, Charlotte.

Zoom in
Comment en est-elle venue à ce poste de directrice artistique du Trident? «Je ne me "destinais" pas à devenir un jour directrice artistique… J’étais assez engagée dans ma communauté, et au courant des problèmes du milieu. Quand le poste s’est ouvert, j’avais envie de dire un certain nombre de choses aux gens en place. C’est facile de rester chez soi et de critiquer. Alors je me suis dit: "Tente quelque chose!". Et ça a marché: j’ai été choisie… Là, il a fallu passer des idées aux actes…»

Accédant à ce poste, Marie-Thérèse Fortin a d’abord voulu conserver au Trident sa place «d’institution dans la capitale». «C’est un théâtre trs important pour la communauté à Québec. Par sa mission – on y explore le grand répertoire, contemporain et classique -, par les moyens dont il dispose. Et c’est aussi un lieu d’apprentissage: en même temps que c’est le point de chute de talents confirmés, c’est une école pour affirmer de jeunes talents et développer de nouvelles avenues pour des créateurs.»

La nouvelle directrice souhaitait consolider le rôle «d’outil extraordinaire de ce théâtre pour Québec», tout en faisant du Trident un lieu de rencontre, de découvertes. «J’ai voulu ouvrir la pratique, en invitant des gens de l’extérieur, en encourageant la coproduction.»

Bilan réjouissant: plusieurs projets issus de ces rencontres se sont concrétisés. La pièce À quelle heure on meurt?, jouée l’an dernier au Trident, sera présentée à Montréal cette année; Monsieur Bovary, texte de Robert Lalonde, coproduit avec le TNM, sera joué à Montréal, puis à Québec en fin de saison. Plusieurs collaborations entre des artistes des deux villes s’organisent également. «Le théâtre, pour moi, c’est essentiellement un art de rencontre.»

Après deux ans à la tête du Trident, Marie-Thérèse Fortin voit plusieurs idées prendre forme peu à peu; d’autres restent encore à réaliser. «Je voudrais que le Trident devienne un point de référence dans la pratique nationale. Que ce soit un détour obligé, où il y a une compétence, des moyens, des acteurs, des concepteurs: que ça soit une grande maison de théâtre. J’y tiens énormément. «Et pour ce faire, il importe de miser sur "l’identité théâtrale" propre à Québec. «Il y a ici des acteurs qui ont énormément de temps de scène dans les jambes, poursuit-elle. Des acteurs qui ont fait 65 spectacles en 15, 20 ans de pratique: c’est énorme. Ça, c’est notre particularité à Québec, et c’est très riche; c’est notre distinction et il faut la valoriser.»

Gros plan
Si certains artistes, appelés à Montréal par le travail, se lassent de la route, la comédienne s’en accomode bien. Heureusement, puisqu’en lus de ses fonctions au Trident, elle continue à jouer dans l’émission 4 1/2, et incarnera un des personnages principaux d’une toute nouvelle série cet automne. Charlotte, dont Radio-Canada souhaiterait faire le Quelle famille! du XXIe siècle, raconte la vie quotidienne d’une famille. Marie-Thérèse Fortin y joue le rôle de Françoise, infirmière et mère de trois enfants, dont la fameuse Charlotte.

La télé amène l’artiste à fouiller certains aspects qui la fascinaient depuis un certain temps. «J’ai accepté Charlotte pour l’espèce de nouveauté que ça apporte, explique-t-elle. En soi, la télé est un médium absolument différent du théâtre, qui ne sollicite pas du tout la même énergie… C’est un autre niveau de jeu, complètement. La caméra est là, tout près; même pour les scènes intimes, tu as toute une équipe autour de toi. Ça demande une grande concentration, très différente de celle exigée par le théâtre. Cette intimité, cette proximité m’intéressaient beaucoup.»

Elle poursuit: «Travailler avec des enfants me tentait également. Dans Les Troyennes, je jouais avec deux petits garçons, et j’étais toujours renversée de voir leur spontanéité. Les enfants "crèvent" la scène. Ils sont là, ils ne font rien ou même sont distraits, et tu ne vois qu’eux; ils prennent toute la place. C’est la même chose à la télé. Et ça, ça m’intriguait énormément. Pour une "routière" comme moi, c’est toute une remise en question…».

Le résultat? Emballant: «Dans Charlotte, avec les enfants, c’est pareil. Les trois enfants sont excellents, très disciplinés. Avec mon partenaire, Henri Chassé, c’est aussi une très belle rencontre; on s’entend bien, on aime jouer ensemble. Cette nouveauté, c’est regénérateur. Je pense qu’il faut faire ça, quand l’occasion se présente.»

Et avoir sa série à soi, qu’est-ce que ça signifie, dans la vie quotidienne? «Je ne le sais pas encore, avoue la comédienne. Mais quand ça va commencer, c’est sûr que les gens vont me reconnaître dans la rue. Tues là tous les dimanches dans leur salon, et t’es la maman de la famille… C’est sûr que le symbole n’est pas le même qu’avec mon personnage épisodique de 4 1/2. J’ai hâte de voir. Mais généralement, les gens sont gentils et courtois. Des fois ils te regardent plus longtemps; mais la plupart des gens sont charmants. Ça, c’est si ça marche; on verra.»

Si théâtre et télé diffèrent, l’un et l’autre posent des défis particuliers, stimulants pour la femme de théâtre. «J’espère pouvoir continuer à jouer, parce que j’aime être sur scène. Ce n’est pas la même chose qu’à la télévision. Quand tu joues du répertoire, au théâtre, tu es dans un autre niveau de conscience, presque. Alors qu’à la télé, bien que les textes soient bons, c’est quand même de l’ordre du quotidien. Le défi, c’est que les gens reconnaissent leur quotidien dans ça; le théâtre, au contraire, c’est de transcender le quotidien.»

«C’est sûr que ma nourriture, c’est davantage le théâtre. C’est ça qui m’a formée, c’est ça que j’ai fait le plus et, j’espère, le mieux. Mais la télé, c’est un beau défi aussi; parce que jouer le quotidien, être plus vrai que nature, c’est quelque chose…»

Travelling
Comment concilier, concrètement, ces activités à Québec et à Montréal? «C’est sûr que je voyage beaucoup» admet-elle. Pour la série Charlotte, toutefois, plusieurs épisodes ont déjà été tournés au cours de l’été, pour des raisons de disponibilité des trois enfants qui vont à l’école. Autrement, le voyage en autobus représente pour la comédienne un moment précieux. «Moi, les trois heures que je passe dans l’autobus, toute seule, sans que le téléphone sonne, sans être constamment sollicitée, je trouve que c’est un temps béni: je peux réfléchir, j’écris, je lis.»

Pause. Elle ajoute: «Et ça a peut-être l’air idiot, mais ça me permet aussi d’être assise avec les gens, d’être en contact avec le "vrai" monde. Pas les artistes, pas les employés du Trident; ceux qui viendront voir les spectacles. Et c’est important de ne amais oublier pour qui on travaille. Ça oblige à toujours se préoccuper de faire des spectacles "pertinents". Ce contact est très précieux. Surtout avec du théâtre de répertoire, ce serait dangereux de perdre de vue la nécessité de monter ces oeuvres-là et de les rendre pertinentes. C’est à ça que je réfléchis tout le temps.»

Un exemple? «Monter Les Troyennes avec Wajdi Mouawad comme metteur en scène, ça a un sens. C’est pour ça que je lui avais demandé l’an dernier. J’ai dit à Wajdi: "Écoute, on monte Les Troyennes si tu viens; je ne vois pas qui peut monter ça à part toi. Parce que la guerre c’est pour nous une notion lointaine. Toi, tu l’as vécue, tu l’as en toi, la guerre. Nous, on est des analphabètes. Ce que je veux, c’est que tu viennes nous la rentrer dans le corps pour qu’on puisse jouer Les Troyennes de façon cohérente, pertinente, et pas seulement faire un beau moment culturel, muséal, presque." Il ne pouvait pas; mais il s’est arrangé, et il est venu.»

Arrêt sur image
Marie-Thérèse Fortin semble comblée, et heureuse. «Quand Charlotte m’est tombée dessus cette année, je me suis dit: "Je suis vraiment très chanceuse…" Car j’ai aussi beaucoup de plaisir à être directrice artistique. C’est un travail d’écoute, et un drôle de pouvoir. Tu as une idée au départ, et tu la confies à quelqu’un d’autre. Tu cherches la "mère porteuse", explique-t-elle en riant. C’est bien étrange parfois… Un directeur artistique, ce n’est pas quelqu’un qui impose une loi; c’est quelqu’un qui réfléchit avec les créateurs pour amener les choses à leur aboutissement, à la forme la plus accomplie de l’oeuvre. C’est passionnant!»

Dans les circonstances, que souhaiter de plus? «Ce que je souhaite surtout, c’est de pouvoir continuer à faire ce métier-là, à travailler sur des projets avec des gens que j’aime, qui me stimulent, qui me poussent à m’améliorer, à continuer à tout remettre en question, tout le temps. Tout le temps. Parce que je pense que du moment où on commence à sinstaller dans une certitude, c’est dangereux. Bien sûr, le doute, c’est nécessaire.