Par les temps qui rouillent
Scène

Par les temps qui rouillent

La solitude, la grisaille urbaine, la dépersonnalisation des mégalopoles, l’automatisation de la vie, la vacuité des échanges, le fil rompu de la communication humaine… On est tous familiers avec ce petit répertoire, mi-orwellien, mi-kafkaïen, de l’effroyable déshumanisation qui guetterait, en fait aurait quasiment envahi, notre bonne société.

Ce qui fait plutôt l’intérêt de Par les temps qui rouillent, la pièce de Francis Monty jouée à la Licorne par une équipe belgo-québécoise, c’est la forme que cette satire entendue revêt. La «pièce pour automates en plusieurs tableaux» parle plus éloquemment avec les corps qu’avec les mots.

Aux confins de l’absurde, du burlesque, de l’art clownesque et du fantastique, le spectacle mis en scène par Sylvie de Braekeleer nous ouvre une fenêtre sur un univers insolite, mécanique: impers gris asphalte, visages crayeux, des troupeaux de passants plus tout à fait humains sont engagés dans une course folle qui ne les mène nulle part (on pense un peu à Joe, de Jean-Pierre Perreault); des esquisses de personnages se révèlent obsédés par des futilités.

Inégal, s’essoufflant un peu en bout de course, Par les temps qui rouillent multiplie les instants de collision, les moments de fêlure. Un simple grain de sable dans l’engrenage suffit à faire dérailler, pour un temps, l’ordonnance très réglée de la machine: un homme arrêté au milieu de la place, et voilà une frénétique joggeuse tentée d’imiter cette immobilité; un néon brisé («un contact qui ne se fait pas», au dire d’un technicien, phrase qui prend une plus large signification dans le contexte du spectacle) provoque un attroupement, même une amorce d’échange entre un homme et une femme… Mais le flot collectif est le plus fort.

Les ébauches de séduction sont nombreuses – mais ratées – dans cet univers où l’humain tente vainement de reprendre ses droits. Sans oublier les contacts charnels entre l’homme et l’objet. Voir cet homme (très bon Sébastien Ricard) qui fait des avances délirantes à une machine distributrice de boissons gazeuses… – après tout, à notre époque, la consommation est d’abord une entreprise de séduction, non?

De ce fruit des échanges entre l’École nationale de théâtre du Canada et l’Institut des arts de diffusion de Louvain-la-Neuve, on aurait pu attendre un spectacle très hybride. Or, hormis quelques étranges – et somme toute savoureuses – salades d’accents joualo-belges, la distribution montre généralement une belle cohésion. La mise en scène précise et stylisée de Sylvie de Braekeleer est attentive aux mouvements, aux postures de ces silhouettes clownesques, bien campées.

Elle donne un certain tonus à un texte non dénué de qualités, mais plutôt disparate, qui propose de bons flashs (comme cette femme agonisante qui voit défiler tous les «bouts plattes» ou triviaux de sa vie…) et une atmosphère flirtant avec l’étrange, plutôt qu’un univers fort.

Jusqu’au 2 octobre
À La Licorne
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