Autodafé : Tout feu, tout flamme
Scène

Autodafé : Tout feu, tout flamme

Avec son lot de rendez-vous manqués, l’histoire du Québec se prête plus à la farce qu’à la tragédie. C’est du moins le point de vue d’Olivier Choinière. Le prolifique auteur – une dizaine d’oeuvres en quatre ans! – a livré sa plus récente pièce, Autodafé, jeudi dernier au Théâtre La Chapelle. C’était aussi l’inauguration du Théâtre du Grand Jour, une nouvelle compagnie qui bénéficie du soutien de plusieurs personnalités, dont Lisette Lapointe et Yves Desgagnés, et qui s’est donné la mission d’encourager notre jeune dramaturgie.

Après Le Bain des raines et Le Soldat de bois, Choinière a décidé de raconter sur le mode de la satire, voire de la caricature, le passé imparfait des Québécois. Avec Autodafé, il revisite trois siècles et quelques misères de l’histoire de la Belle Province. Son point d’ancrage étant la révolution non assumée et toujours à refaire du peuple québécois.

Le (long) premier acte se passe à l’époque des coureurs des bois, alors que les deux frères Téfal et Valabert commettent un parricide. Mais ce meurtre passera inaperçu… Il deviendra même le symbole de l’insoutenable quête de sens des Québécois. De la Conquête aux référendums, en passant par l’écriture de Refus global et la Crise d’octobre, Autodafé remonte le cours du temps pour mieux écorcher les succédanés de symboles paternels: le clergé, le hockey, le pouvoir politique et même le Bonhomme Carnaval. Le personnage principal d’Autodafé ne s’appelle pas Téfal pour rien. Les événements historiques, selon l’auteur, glissent sur notre inconscient collectif comme sur du téflon.

Pourtant, cette pièce, qu’on présente comme «un bûcher historique en cinq actes», est davantage un acte de création que de démolition. Si l’auteur se moque des révoltes avortées ou récupérées par les générations précédentes, c’est pour mieux exprimer la sienne. Que voulez-vous, on ne se sépare pas si facilement de son passé. Rompant avec la satire, comme s’il sentait le besoin de justifier son entreprise, Choinière explique son besoin de prendre la parole dans des monologues livrés par la comédienne Geneviève Gratton entre les actes. C’est parfois assez lourd.

Il faut dire qu’on aurait pu largement couper dans ce texte (il fait trois bonnes heures), et le message aurait passé. Si les comédiens s’investissent totalement et donnent des performances assez électrisantes (Sylvain Bélanger, Patrice Robitaille, Kathleen Fortin et Christian Brisson-Dargis sont remarquables avec leur jeu soutenu et polyvalent), ils sont laissés un peu à eux-mêmes. Dans la mise en scène d’André Brassard, on ne pèche par excès d’images: le décor économe, fait de trois échafaudages amovibles, annonce d’emblée l’absence de poésie visuelle. Il y a même des maladresses, telle cette description haletante d’un match de hockey à la radio qui se confond subtilement avec l’orgasme d’un couple… On croirait regarder la télésérie Le Masque!

Mais rendons à César ce qui lui revient. Avec une écriture foisonnante et une langue aussi belle qu’éclatée, avec son style baroque et iconoclaste, Olivier Choinière fait preuve d’une grande intelligence dramatique. Toutes proportions gardées, il y a quelque chose de shakespearien dans ses pièces. Comme chez Shakespeare, Autodafé est une drôle d’épopée où la poésie côtoie la monstruosité humaine, et dans laquelle la bâtardise flirte avec la noblesse de l’âme.

Au théâtre, Olivier Choinière remet en question les actions et les convictions de ses aînés pour mieux dire son immense désir de justice et de liberté. Avec des forces et des faiblesses – il n’a pas encore trouvé totalement sa voix -, il écrit avec «le doute pour seule certitude». C’est ainsi qu’on reconnaît un vrai dramaturge. Surveillez ce jeune homme, il n’a pas fini de faire parler de lui.

Jusqu’au 9 octobre
Au Théâtre La Chapelle
Voir calendrier Théâtre