Mathilde Monnier : Mariage mixte
Scène

Mathilde Monnier : Mariage mixte

L’enfant chérie de la danse contemporaine française revient à Montréal dans le cadre du 9e Festival international de nouvelle danse. Place au métissage des cultures et des mouvements.

Douze ans après son premier passage à Montréal, Mathilde Monnier nous revisite avec une oeuvre charnière de sa carrière. Chorégraphie qui juxtapose danse contemporaine et danse traditionnelle du Burkina Faso, Pour Antigone se révèle une pièce incontournable de la programmation du FIND, qui célèbre, cette année, la danse contemporaine africaine.
Avant même que la danse africaine ne devienne un point de mire en Europe, la chorégraphe Mathilde Monnier créait, en 1993, Pour Antigone avec des danseurs européens et burkinabés. À l’époque, son projet avait fait jaser dans les chaumières. On se demandait, entre autres, ce qu’allait faire l’enfant chérie de la danse contemporaine française chez un peuple qui conjuguait mouvements avec rythmes traditionnels depuis la nuit des temps.

Après avoir mené sa barque en compagnie des chorégraphes François Verret et Jean-François Dutoure, puis, seule, la chorégraphe ressentait l’urgent besoin de tourner la page sur un travail esthétique qui ne la bouleversait plus. «Je ne trouvais plus de sens à ce que je faisais. J’avais besoin de partir à l’étranger, histoire de voir les choses sous un angle différent», nous explique-t-elle, par téléphone, de Montpellier.

Formée à l’école de danse new-yorkaise au début des années 80, Mathilde Monnier débuta sa carrière de chorégraphe-danseuse sur les chapeaux de roues. Avec Jean-François Dutoure, elle signa Pudique Acide, Extasis et Mort de rire qui propulsèrent le duo dans les grandes villes occidentales, dont Montréal. Après sa séparation professionnelle d’avec Jean-François Dutoure, en 1987, Mathilde Monnier a développé une danse survoltée, personnelle, parfois décapante, et ponctuée d’images fortes. Son parcours est jalonné de succès. Pourtant, la chorégraphe se tient loin des modes. «Les premières pièces ont bien marché parce qu’on avait de l’argent et une énorme curiosité du public pour la danse contemporaine française», dit-elle.

Tout juste après la création de Pour Antigone, Mathilde Monnier est nommée à la tête d’un des plus importants et des plus beaux centres chorégraphiques français, le Centre chorégraphique national de Montpellier. La nomination était d’autant plus attrayante que cette ville accueille chaque année un important festival international de danse, le Montpellier-Danse. De plus, cette nomination ne pouvait pas mieux tomber dans la carrière de la chorégraphe qui cherchait un lieu permanent pour sa compagnie.«À Montpellier, on trouve une grande ébullition artistique et un public exigeant, ce n’est pas comme à Angers!»

Noir sur blanc
Pour Antigone est une oeuvre pour dix danseurs qui a modifié le cours de la carrière de Monnier, tout en contribuant à jeter les bases de la danse contemporaine africaine. Au tournant de la dernière décennie, alors que les chorégraphes européens choisissaient l’Asie comme lieu de ressourcement, elle optait pour un continent boudé par ses collègues. «L’Afrique fait un peu partie de mes racines (une partie de son enfance s’est déroulée en Afrique du Nord) et, en même temps, elle m’est étrangère. J’avais envie de savoir comment j’allais travailler la danse contemporaine dans un contexte africain.»

La chorégraphe privilégie le Burkina Faso en raison de sa riche tradition de danse et de musique. Après plus de deux années d’allers-retours entre le Burkina et la France, elle monte une oeuvre aux antipodes d’une danse de métissage, en s’inspirant de la tragédie grecque Antigone de Sophocle. «Les danseurs qui ont une technique contemporaine font du contemporain, et les danseurs qui ont une formation de danse traditionnelle font de la danse traditionnelle. En fait, je dirais que c’est la juxtaposition des deux styles qui donne une note contemporaine à la pièce.»
Depuis sa création, la pièce a récolté une foule d’éloges. Le prestigieux journal Le Monde écrivait à son sujet: «Un décor minimaliste de tôle ondulée, un siège de voiture sorti pour les palabres, et voilà l’Afrique prête à servir de décor pour une oeuvre conçue comme une symphonie concertante. Chaque danseur est traité en soliste, mis en valeur dans sa particularité, mais toujours avec le souci de créer un lien avec les autres.»

Six ans après sa création, Pour Antigone demeure la pièce de Monnier qui a le plus roulé sa bosse à travers le monde. Mais que reste-t-il de l’histoire de cette adolescente nommée Antigone qui risque sa vie pour donner une sépulture à son père décédé? «On s’est librement inspirés de cette oeuvre qui trouvait une résonance chez les Africains par rapport aux funérailles, au deuil et à l’ensevelissement», raconte la chorégraphe. «Au départ, je ne voulais pas d’une histoire européenne ni d’une histoire africaine. Antigone s’est imposée à mon esprit parce que je la trouvais emblématique de la danse contemporaine européenne, qui était alors à un stade adolescent. Et puis, je suis très attachée à l’héroïne que je trouve impétueuse, courageuse et libre.»

Au fil des spectacles, l’oeuvre s’est épurée et a perdu son aura théâtrale. Chaque reprise réserve des moments de bonheur à la créatrice, qui en a pourtant vu d’autres. «Ce qui est bien avec l’art vivant, c’est qu’à chaque présentation on vit une nouvelle émotion. La danse reste un travail de l’instant. C’est pour ça que je fais ce métier et non du cinéma ou de la peinture.»
Malgré le succès et les répercussions de sa pièce sur sa carrière comme sur la danse contemporaine africaine, Mathilde Monnier ne referait sans doute plus ce type de projet. «On fait ça quand on est jeune et au début de sa carrière. À l’époque, j’avais 28 ans, et le travail m’apparaissait juste. C’est après que je me suis aperçue que j’avais vécu un bouleversement incroyable.»

Changement de cap
Depuis Pour Antigone, la chorégraphe s’inspire de la réalité dans son travail. Et les embûches sont multiples. Des exemples? Au milieu des années 90, elle a créé et dansé deux duos avec des adultes autistes qu’elle avait rencontrés sur une base hebdomadaire et pendant plusieurs années dans un hôpital psychiatrique. Plus tard, elle a monté une pièce en collaboration avec l’écrivaine Christine Angot, dont les écrits conspués à l’époque sont aujourd’hui portés aux nues par les critiques. Ce n’est donc pas pour rien que Mathilde Monnier a hérité d’une la réputation d’entêtée, voire d’acharnée. «J’imagine que pour faire ce type de projet, ça demande de la détermination, dit-elle avec un sourire dans la voix. Cela ne m’empêche pas cependant d’avoir des moments de doute terribles…»

Si ses remises en question peuvent nous paraître contradictoires, elles lui sont pourtant essentielles. «Si je ne suis pas troublée par ce que je fais, si je ne suis pas en péril, je ne m’aventure pas!»

De là à la coiffer du titre de chorégraphe sociale, il y a un pas qu’elle ne franchit pas. Si elle se frotte à de dures réalités (l’alcoolisme et le sida ont aussi été des thèmes de prédilection), c’est pour mieux défricher des terres vierges. «J’expérimente à partir de choses réelles, précise-t-elle. Quand je travaille avec des autistes, je n’ai pas d’autre choix que de me remettre en question.» Cette exploration ne va pas sans susciter de nombreux commentaires autour d’elle. Le jour où elle s’est mise au travail avec des autistes ou une auteure honnie, elle a dû défendre ses choix artistiques sur la place publique. «J’essaie toujours de rallier des problématiques d’aujourd’hui à ma danse. C’est par la suite qu’elles deviennent esthétiques ou poétiques.»

N’empêche que ses oeuvres sont attendues avec impatience. Celles-ci honorent souvent la programmation de Montpellier-Danse, dont le directeur artistique, Jean-Paul Montanari, réserve une oreille attentive aux suggestions de la chorégraphe. Pas surprenant que des compagnies de danse contemporaine de partout à travers le monde trouvent refuge sur les scènes de ce festival et au Centre chorégraphique national de Montpellier. «On ne peut rester entre nous, explique Mathilde Monnier. Comme on a la chance de travailler avec un langage sans frontières, on doit bouger et les autres aussi. C’est comme ça que la danse se construit.»
Membre du jury du Concours de chorégraphies africaines, Mathilde Monnier est renversée par la rapide évolution des artistes du continent noir. «Il y a différents courants. En Afrique du Sud, par exemple, il se fait des choses magnifiques. Pour moi, c’est la révolution. La danse y a atteint une maturité étonnante, en plus d’être politique. Il y a aussi une intégration de différents styles. On y trouve de la danse zouloue, de la danse classique et de la danse contemporaine. On y découvre aussi une forte influence de chorégraphes britanniques et américains qui ont séjourné dans ce pays. Par ailleurs, ça commence à bouger pas mal en Côte d’Ivoire et au Burkina Faso.»
Chorégraphe prolifique, Mathilde Monnier est en train de préparer son prochain spectacle qui regroupera une trentaine d’artistes européens, américains et africains autour de la notion du don et de la dette, lequel sera présenté à la prochaine édition du Montpellier-Danse. Pas de Québécois? «Je ne connais pas personnellement les chorégraphes du Québec…, avoue-t-elle. En fait, j’ai invité des artistes que j’ai croisés récemment sur ma route. Je ne sais pas encore si je vais faire une création. Chose certaine, il va y avoir plein de choses marrantes!» Pas banale, la dame!

Les 28 et 29 septembre
Au Monument-National
Voir calendrier Événements

Le volet africain
Quasiment à l’état embryonnaire il y a huit ans, la danse contemporaine africaine est aujourd’hui en pleine effervescence. Cela ne fait pas d’elle une nouvelle danse pour autant. Les chorégraphes africains s’inspirent tous et à des degrés divers de danses et de musiques traditionnelles. C’est qu’il est difficile pour eux d’échapper à des milliers d’années de martèlement des pas. N’empêche, leur gestuelle sensuelle qui semble couler de source devrait séduire les Latins que nous sommes en plus de nous étonner.

La chorégraphe Mathilde Monnier a énormément contribué à la naissance de la danse contemporaine africaine avec Pour Antigone. Deux danseurs de sa troupe, Salya Sanon et Seydou Boro, l’ont suivie au Centre chorégraphique national de Montpellier. Ils dansent depuis pour elle tout en poursuivant, en parallèle, une carrière de chorégraphes-danseurs. Leur pièce Fignito ou L’oeil troué, à l’affiche de l’Agora de la danse le 30 septembre et le 1er octobre, se révèle sans doute l’une des pièces les plus innovatrices du répertoire africain du FIND. Trois hommes et deux musiciens évoquent l’épreuve de l’amitié devant la maladie et la séparation. Selon Mathilde Monnier, la compagnie Salia nï Seydou constitue un pilier de la danse contemporaine de l’Afrique de l’Ouest.

Autre chorégraphe dont la carrière monte en flèche: Vincent Mantsoe d’Afrique du Sud. Du 5 au 9 octobre, il livrera deux solos à Tangente. S’inspirant de la danse zouloue, sa prestation évoque les mouvements d’un oiseau au port orgueilleux. Toutes jeunes, les compagnies Sylvain Zabli et Tchétché nous donneront un bon aperçu du dynamisme de la danse ivoirienne. La première évoque les danses et la misère des jeunes de la rue; alors que la seconde nous offrira un hymne à la solidarité féminine. Les deux compagnies viennent avec leurs musiciens. À la maison de la culture Frontenac, du 1er au 4 octobre. L’entrée est libre.

Pionnière de la danse africaine au Canada, la Québécoise d’origine congolaise Zab Maboungou reprendra, quant à elle, Incantation en compagnie de ses musiciens. Son spectacle aura lieu au Théâtre du Maurier, du 29 septembre au 2 octobre. La Portugaise Clara Andermatt, dont la danse de groupe nous avait amusés à la précédente édition du FIND, nous livrera le fruit de son travail conçu en collaboration avec des danseurs du Cap-Vert. Enfin, la principale surprise de cette programmation africaine nous vient de l’Allemande Suzanne Linke. Comment cette dernière originaire d’un pays où l’esthétisme est porté vers de hauts sommets saura-t-elle composer une danse-théâtre avec huit danseurs africains? Si on se fie au visage d’un des danseurs, qui orne les affiches du FIND, les frissons de plaisir devraient être au rendez-vous (à la salle Marie Gérin-Lajoie, de l’UQAM, les 5 et 6 octobre).(L. Boutin)

Le FIND à petits prix
Des spectacles de danse à petits prix, en plein Festival, ça existe! Il y en a même des gratuits, à la maison de la culture Frontenac, qui accueille deux jeunes troupes de la Côte-d’Ivoire: et la compagnie de danse contemporaine Tchétché, composée exclusivement de femmes; la compagnie Sylvain Zabli, que des hommes, qui présente un alliage de danses urbaines et traditionnelles. Vous devez toutefois vous procurer des billets à l’avance. Le 3 octobre, en après-midi, la nouvelle vague de chorégraphes va déferler pendant cinq heures à la Balustrade du Monument-National pour un marathon chorégraphique. Pour la somme de 15 dollars, les étudiants peuvent obtenir des billets pour tous les spectacles, mais il faut faire vite. Pour 20 dollars, vous pourrez assister à tous les spectacles présentés à l’Agora de la danse, et pas les moindres: le Carré des Lombes de Danièle Desnoyers et Dominique Porte ainsi que la série des solos présentés par Ruth Cansfield, Peter Chin, Mirjam Bos et Vincent Mantsoe. Pour le même prix, quelques billets seront offerts aux salles Marie-Gérin-Lajoie et Alfred-Laliberté de l’UQAM et au Monument-National où sont présentés les gros canons. (I. Poulin)

Colloque danse, langage et métissage
Il n’y a pas que des danseurs et des chorégraphes du monde qui viendront chez nous, mais aussi critiques, historiens, chercheurs, linguistes et philosophes d’Afrique, d’Europe et des États-Unis. Tout ce beau monde discutera pendant trois jours, du 30 septembre au 2 octobre, des enjeux de la danse d’aujourd’hui. À l’heure des métissages et de la mondialisation, la danse est-elle un langage universel? De passionnants échanges en perspectives à la Cinémathèque québécoise. Info. 287-1423. (I. Poulin)