Curieux dilemme que celui de la conceptrice d’éclairages Lucie Bazzo. Cette dernière est l’initiatrice d’un spectacle de danse qui est loin de faire l’unanimité. À la sortie, nombreux étaient les spectateurs à lui reprocher de ne pas avoir été à la hauteur de leurs attentes. En regard de son impressionnant bagage professionnel et de l’emploi de projecteurs sophistiqués, on s’attendait à des éclairages époustouflants. Or, c’est bien mal connaître son travail sensible et discret. N’eût été le magnifique lustre de la sculpteure Claudie Gagnon, un assemblage de tasses à café, de verres et de cendriers bleus, ocre, verts et rouges, ses subtils jeux de lumière auraient sombré dans l’indifférence. C’est peut-être d’ailleurs ce que l’éclairagiste souhaitait…
Supposons que Lucie Bazzo se fût davantage éclatée, son audace aurait risqué d’éclipser le travail des chorégraphes et des interprètes invités. Par le passé, on a déjà vu des éclairages magnifiques qui étaient loin de rendre service à l’oeuvre. Pour que la beauté de la lumière se conjugue avec la beauté du mouvement, il faut davantage que trois semaines de travail, comme ce fut le cas pour ce Projet Bazzo. Cela dit, pourquoi la tenue de ce projet si on n’a pas le temps de le faire dans les conditions voulues? D’abord pour son côté inusité: comment les chorégraphes Sylvain Émard, Louise Bédard et Catherine Tardif allaient-ils se débrouiller avec une musique et des éclairages imposés? Puis pour l’invitation d’interprètes de talent, dont Marc Béland.
Résultat: une soirée inégale, ponctuée de beaux moments. Le plus surprenant, seule la chorégraphie de Sylvain Émard semble avoir été montée en fonction de la lumière. Durant sa pièce, notre regard oscille entre la danseuse Parise Mongrain et le lustre qui brille de tous ses feux. Le chorégraphe a signé une gestuelle ciselée, abstraite, belle à regarder, et qui joue avec l’ombre et la lumière. Cependant, elle parvient difficilement à soutenir notre intérêt lors des passages musicaux arides.
À la chorégraphie suivante, nous sommes plus concentrés sur ce qui se passe sur la scène, sans doute en raison des curieux petits gestes de Marc Béland, de son charisme et de notre oeil déjà habitué aux surprises visuelles. Malgré la sensibilité du langage chorégraphique, Louise Bédard ne réussit pas elle non plus à maintenir notre curiosité de façon égale. Au dernier solo, le style change de ton. Catherine Tardif a conçu un personnage à la frontière de la schizophrénie qui fait sourire. Marc Boivin livre ici une performance qui sort du modèle introverti habituellement réservé aux danseurs. Un vent d’air frais sur une soirée qui en avait bien besoin.
Jusqu’au 25 septembre
L’Agora de la danse
Les Bacchantes
Paula De Vasconcelos a du talent et beaucoup d’imagination pour créer de belles images qui restent gravées dans nos esprits. Et il y en a à profusion dans sa danse-théâtre Les Bacchantes, présentement à l’affiche de l’Usine C. Là où le bât blesse, c’est que la chorégraphe privilégie parfois la beauté au détriment de l’efficacité, comme cette piscine qui sort de nulle part ou cet emploi final du lustre archi-prévisible.
Côté chorégraphique, son style ne manque pas de panache. Sa danse rythmée et soutenue n’est cependant pas très novatrice. Plusieurs passages nous font penser à des signatures connues. Ses pas de course sur place, par exemple, ressemblent à la gestuelle de Ginette Laurin, et son personnage à mi-chemin entre l’homme et le cheval semble sortir de l’imaginaire de Marie Chouinard.
Par contre, on ne peut lui reprocher de manquer d’audace dans le choix de son propos au demeurant assez bien développé. Paula De Vasconcelos suggère une version très libre et féministe des Bacchantes d’Euripide. Ses quatre déesses fières, séductrices et conquérantes en font voir de toutes les couleurs aux personnages masculins vils, ambitieux et violents. Bien sûr, la chorégraphe ne fait pas dans la demi-mesure, on aurait cependant souhaité davantage de nuances, comme des déesses aux prises avec le doute.
Contrairement à Lettre d’amour à Tarentino, qui proposait un regard léger et humoristique sur les rapports homme-femme, la dernière création de Vasconcelos navigue en eaux sombres: décors rouges et noirs, beaucoup de pénombre, une trame musicale envoûtante marquée de rires sardoniques. Enfin, le moins que l’on puisse dire, c’est que Les Bacchantes ne laissent personne indifférent: on en sort à bout de nerfs ou conquis, ce qui est déjà pas mal.
Jusqu’au 2 octobre
À l’Usine C
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