Jusqu’au 16 octobre
Au Grand Théâtre de Québec
Au Trident, des bruits de bombes: la respiration de la guerre qui se rapproche. Un plateau vaste, presque nu: sol de sable, quelques poubelles où brûlent des feux. À travers les mots d’Euripide, la scénographie d’Isabelle Larivière et la mise en scène de Wajdi Mouawad, la pièce Les Troyennes présente une image universelle, intemporelle de la guerre.
Une reine prostrée; des femmes en cortège, portant valises, au déplacement presque suspendu dans le temps. Ainsi commence la tragédie, dessinant l’attente des femmes après la destruction de Troie par les Grecs. La mise en scène se bâtit de références à toutes les guerres: déportations, génocides, guerres mondiales. Les allusions puisent à même les gestes, vêtements et accessoires pour créer des images troublantes, à la fois antiques et modernes: valises et voix métallique qui ordonne à travers le haut-parleur, voix cassée d’une choreute qui déclame, comme un glas, le nom de Québécois morts à la guerre, costumes d’étoffes orientales pour les Troyennes, de cuir pour les envahisseurs grecs.
Avec ces allusions, la pureté de la tragédie grecque: le chour, ses chants et ses mouvements rythmés. Le chour incarne la pulsation de la douleur, de l’incompréhension devant l’aveuglement des humains dans leur logique de guerre implacable. Et pendant que les mortels se déchirent, Poséidon et Athéna rient et s’amusent, immaculés. Les dieux soulignent de leur frivolité la souffrance des humains. Presque aériens, ils observent avec curiosité cette douleur qu’ils ne peuvent ressentir: celle des Troyennes, chargées de leurs valises, de leur souffrance, toujours au ras du sol, à même le sable.
Humaine, organique même, la mise en scène s’adresse à tous les sens, et se taille à même la chair des comédiennes, superbement égales, bouleversantes. Avec des objets simples, des impressions fugitives, elle crée des moments uniques, propres à la tragédie grecque: l’horreur pure, en même temps que la beauté pure. C’est la beauté terrible de la tragédie grecque qui nous offre, deux mille ans plus tard, quelques instants pour nous faire ressentir la guerre; quelques instants pour interroger ce que Wajdi Mouawad appelle notre «paix monstrueuse».
Le Chemin des passes-dangereuses, de Michel-Marc Bouchard
Jusqu’au 16 octobre
Au Théâtre de la Bordée
Dès l’entrée, le spectateur est happé par l’environnement sonore et olfactif: chant des oiseaux, odeur du bois frais, dont les empilements de rondins forment sur la scène un morceau de route, perdu dans le «désert vert». La paix ne plane ici qu’à la surface des choses. Dès que l’obscurité tombe dans la salle, le bouleversement commence: bruit d’accident, irruption de trois frères sur la route, égarés au milieu de nulle part. À travers leurs conversations, banales ou écorchantes de vérité, entre peur et soif de contacts, les trois frères, Carl (Pierre-François Legendre), Ambroise (Jacques Leblanc) et Victor (John Applin), luttent dans un corps à corps de mots et de gestes contre l’étanchéité du silence.
La mise en scène de Lorraine Côté accorde une large place au texte. Envoûtante et musicale, la «partition», faite de variations, de chours et de récitatifs, propose des images d’une grande beauté pour évoquer la mort et l’enfermement de chacun en soi-même. Si l’émotion et certaines images semblent parfois un peu trop appuyées, la poésie du texte et la force des comédiens – particulièrement celle de John Applin – le font vite oublier.
Après la révélation finale, le silence retombe sur cette portion de route. Reviennent alors le calme, le chant des oiseaux. Comme si rien ne s’était passé ou comme si, enfin, tout y était en ordre.