Scène

Kvetch : Moi et l’autre

"Angst", "frygt", "angoscia": autant de mots pour dire, en autant de langues, "angoisse". En yiddish: "kvetch". C’est le titre d’une pièce du Britannique STEVEN BERKOFF, où se révèlent les pensées secrètes des personnages. Parmi eux, Frank, incarné par FRANCIS MARTINEAU.

La pièce Kvetch, créée en 1986, met en scène cinq personnages très ordinaires: Frank (Francis Martineau), représentant de commerce, son épouse (Michèle Sirois), sa belle-mère (Paule Savard), un ami (Jacques Laroche), un client (Jean-Jacqui Boutet). S’enviant les uns les autres, ils partagent sans le savoir un point commun: l’angoisse. Peur d’avoir l’air idiot, peur de manquer d’argent, peur d’être seul…: la peur, petite ou grande, qui surgit à propos de tout et de rien, et que chacun, avouons-le, ressent quotidiennement.

L’auteur Steven Berkoff, aussi acteur et metteur en scène, donne la parole à ses personnages à travers des situations banales, mais autorise surtout une autre voix à se manifester: celle que, par décence ou souci des convenances, on étouffe habituellement… "C’est comme des petits démons qui hurlent dans ma tête", explique Frank en début de pièce. Cette voix exprime souvent le "kvetch", et d’autres pensées inavouables en société. C’est l’univers de ce "double-discours" que nous ouvre la pièce mise en scène par Lorraine Côté, entourée des concepteurs Carl Fillion, Lucie Larose, Sonoya Nishikawa et Jean-Sébastien Côté.

Comment "montrer" sur scène ces pensées secrètes qui accompagnent constamment le "discours officiel" du quotidien? Pendant que l’un des personnages expose ses démons intérieurs, l’action est suspendue. "C’était la méthode la plus efficace et en même temps, la plus défoulante", assure Francis Martineau, qu’on a vu l’an dernier dans George Dandin et dans Les Femmes de bonne humeur. "Il y a une espèce de folie dans Kvetch. Quand les autres se figent, tu pourrais, à la limite, faire n’importe quoi… On se sent très libre dans ces moments-là, et la metteure en scène nous laisse une grande marge de manoeuvre… Ça prend beaucoup d’énergie, mais on s’amuse énormément. Et pour ne pas rire, ça demande une concentration extrême…"

Entre lieux communs et explosions de peurs et de frustrations inavouées, la pièce déclenche le rire. Si chacun peut s’y reconnaître, l’humour n’en reste pas moins corrosif. Car Berkoff, sans complaisance, dépeint une société pleine de fausseté, génératrice de malaise et d’insécurité, où même avec les proches, on avoue rarement le fond de sa pensée. Affreusement seuls, ses personnages passent leur vie à "avoir l’air". "\Ils sont pris dans un cercle vicieux: ils veulent toujours montrer que tout va bien", explique le comédien, alors que chacun est tiraillé par ses propres monstres. Devant ce spectacle, "tu ris, commente-t-il, mais c’est pathétique. En fait, tu ris jaune, parce que c’est triste à mourir de voir ces gens-là qui font semblant d’être heureux".

Après sa première lecture du texte, Francis Martineau avoue avoir ressenti très nettement le "kvetch": "J’ai eu une crise de panique", lance-t-il en riant. "Ça parle vraiment, tout le long, de petits "bobos" que j’ai, que tout le monde a, évidemment. Plus je lisais, plus j’étais angoissé; mais en même temps j’étais content. C’est un bon texte, dans lequel il y a quelque chose d’extrêmement défoulant, et de vrai: souvent, j’appelle ça mon "show-thérapie"…"

La suite? Shakespeare au Trident cet hiver, une série télé, et plus tard, peut-être le cinéma. "J’essaie de profiter de toutes les occasions pour apprendre, découvrir, confie l’acteur. J’y vais au jour le jour: c’est beaucoup moins… angoissant."

Du 19 septembre au 14 octobre
Au Théâtre Périscope
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