Scène

Steven Berkoff : Kvetch

Avec Kvetch, on entre dans un monde où tout est permis. Il est question, dans cette pièce de la vie de personnages ordinaires, dont on découvre sur scène les pensées  secrètes…

Avec Kvetch, on entre dans un monde où tout est permis. Il est question, dans cette pièce de Steven Berkoff, de la vie de personnages ordinaires, dont on découvre sur scène les pensées secrètes, celles qu’on n’ose pas avouer, et les répliques cinglantes, celles qu’il serait malséant d’asséner.

Dès l’entrée en salle, le spectateur est frappé par une proposition scénographique qui révèle plus qu’elle ne transforme le théâtre: au centre de la scène, sur une estrade peu élevée, une très longue table et, le long des murs, des chaises, où se tiennent déjà les comédiens, qui bougent et se parlent, en situation de hors-jeu.

Début de la pièce: projecteur, un personnage s’avance au micro situé à l’avant-scène, se présente. Déjà s’établit le cadre de la représentation: en plus des rapports habituels entre les personnages, chacun fera au public des confidences. Aucun désir de créer l’illusion réaliste, puisque la pièce, basée en grande partie sur les apartés, joue sur les ruptures dans le ton et dans le jeu.

Les scènes reflètent un quotidien assez terne: souper du vendredi soir, moment d’intimité du couple, travail, drague. Lorsque ces tableaux se doublent du "discours intérieur" des personnages, tout bascule; l’action se suspend, et l’un d’eux dévoile ses pensées secrètes. Moments d’inquiétude ou de défoulement, ces instants font véritablement découvrir les personnages. Leurs drames, parfois bénins – "il ne faut surtout pas rater les pommes de terre" -, n’en sont pas moins le symptôme d’un profond malaise, qui se révèle souvent plus directement: agressivité, envie de tout quitter, envie de mourir. Leur mal-être amuse, mais fait aussi peine à voir. Et c’est les yeux agrandis devant la petite horreur quotidienne qu’on cède à l’hilarité, souvent irrésistible.

L’originalité de Kvetch réside dans ces scènes. Au fil de la pièce, malgré quelques longueurs, le soir de la première, dans les changements de scènes, et quelques coupures manquant de netteté lors des confidences, le rythme s’accélère, soutenu par un jeu vif et solide; les confidences se multiplient, et les aveux se font plus urgents. Peu à peu, les autres personnages participent aux fantasmes, ce qui ajoute au double-discours une impression de petite schizophrénie contrôlée… La mise en scène de Lorraine Côté, pleine d’énergie et étrangement bigarrée, explore différentes images pour ces "confessions": scènes figées et déplacements très libres des interprètes en aparté, jusqu’à un "choeur des angoisses", où chacun passe aux aveux. Pour ces différents moments, emploi de moyens variés: éclairage, micro, rires et applaudissements enregistrés.

Contrastes, rapidité, rire, touches d’émotion: Kvetch est surtout grinçante. Mais les personnages, tous malheureux, nous suivent bien après la pièce: impossible d’oublier certaines répliques qui font rire, en même temps que pleurer. Ce miroir grossissant peint un sombre mais amusant, et tout à fait étonnant, portrait de notre vie.

Jusqu’au 14 octobre
Au Théâtre Périscope