Scène

Entretien avec Larry Tremblay : Ponctuation lombaire

Les Rendez-vous dramaturgiques
À la veille d’amorcer sa quinzième saison et de dévoiler ses nouvelles installations, le Théâtre Périscope invite le public à une série de lectures publiques. Plusieurs dramaturges y assisteront en personne, dont LARRY TREMBLAY, auteur de l’audacieuse pièce The Dragonfly of Chicoutimi.

Les poètes peuvent se targuer d’écrire pour leur seule satisfaction, mais les dramaturges ne peuvent nier l’évidence: s’ils écrivent des pièces, c’est pour les voir jouées. Larry Tremblay est un auteur choyé; ses textes ont été joués, publiés, rejoués, traduits et créés à l’étranger. De son propre aveu, la lecture publique constitue une étape charnière de la vie d’une pièce: c’est le chaînon manquant qui permet la rencontre d’un texte et de son futur accoucheur scénique. Déjà créée à Paris et à Montréal, sa pièce Les Mains bleues sera lue au Périscope pendant Les Rendez-vous dramaturgiques. Il fait le point sur son écriture et évoque le souvenir de Jean-Louis Millette.

Pourquoi faire un théâtre centré sur la parole à l’ère des spectacles multimédias?
«Pour moi, le théâtre est encore un lieu de la parole même si elle y devient de plus en plus vide. Mais heureusement que le théâtre existe encore parce que, si on ouvre la télévision, on voit qu’il y a beaucoup de bla bla, une espèce de conversation qui tourne à vide. Le théâtre, pour moi, est basé sur le dialogue. S’il s’agit d’un monologue, alors c’est une parole à l’intérieur de laquelle on retrouve un conflit avec des enjeux. La racine du théâtre, c’est l’action; dans mes textes, je place l’action dans la parole elle-même.»

L’absence de ponctuation dans vos textes est-elle une liberté que vous accordez à vos interprètes?
«Je forme des acteurs et je m’aperçois que la ponctuation réfère à une logique interne et intellectuelle à laquelle l’interprète a intérêt à ne pas se fier… Parce que la respiration, sur scène, est émotive, affective, psychologique et organique; elle ne correspond pas souvent avec les virgules et les points-virgules que l’auteur a mis.»

Le texte dramatique doit donc être une simple partition?
«Oui, car le texte n’est que la pointe de l’iceberg. Un bon texte de théâtre est fait de trous, de pièces manquantes, de lacunes, de sous-entendus que l’acteur devra combler. Si un texte est trop bavard, il prend la place de l’acteur qui devra le jouer plus tard…»

Vous avez parlé d’un vide de la parole au théâtre; il y a quelques années, un critique affirmait que le théâtre créé au Québec était fort esthétique, mais que les textes tournaient à vide…
«Je ne crois pas que le théâtre d’ici soit en perte de contenu. Il y a eu beaucoup d’expériences formelles, vraiment originales, dont le succès a peut-être contribué à cette tendance à "oublier" le contenu. Mais si on compare le théâtre d’aujourd’hui à celui des années 1970, on voit bien que le politique a déguerpi du théâtre. J’ai fait une pièce politique qui s’intitule The Dragonfly of Chicoutimi. C’était une puissante motivation pour moi d’écrire sur la place du français en Amérique du Nord. Je n’ai pas écrit un pamphlet, mais une pièce qui peut être lue comme une métaphore de la situation politique du Québec.»

The Dragonfly of Chicoutimi – écrite en anglais -, a d’ailleurs été l’un des plus grands succès des dernières années au Québec. Ce paradoxe vous a-t-il frappé?
«Absolument!»

Est-ce à dire que vous avez rencontré votre objectif?
«J’ai rencontré mon objectif, mais j’ai surtout rencontré un acteur exceptionnel… Ce n’était pas gagné d’avance; un texte en anglais écrit par un auteur francophone, c’est déjà un peu bizarre… Mais mon point de vue était qu’il s’agit d’un francophone qui perd le français et ne peut plus parler qu’à travers la langue de l’autre. Je pense que les gens pouvaient comprendre mon propos et qu’ils l’ont compris. Malheureusement, Jean-Louis est mort. Il l’a jouée pendant près de cinq ans et il voulait la jouer encore longtemps…»

Que retenez-vous de ce grand acteur?
«Jean-Louis n’était pas qu’un acteur exceptionnel, c’était un homme exceptionnel. […] Il était très humble… Il avait un immense talent, mais jamais il ne s’est dit: "Je suis bon." Il travaillait dix fois plus que les autres parce qu’il avait peur de s’asseoir sur ses lauriers.»

La pièce survivra-t-elle à Jean-Louis Millette au Québec?
«Je ne sais pas. Il y a eu une fusion extraordinaire entre Jean-Louis et le personnage. Je ne sais pas, c’est tout…»

Du 14 au 17 octobre
Au Théâtre Périscope
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