

La Fin de la civilisation : Le temps des barbares
Catherine Hébert
Photo : Lydia Pawelak
«L’infaillible façon de tuer un homme, c’est de le payer pour être chômeur. Et puis c’est gai dans une ville, ça fait des morts qui marchent.»
– Félix Leclerc
George F. Walker a compris qu’un homme privé de travail est un homme en danger. Quatrième volet de son cycle Motel de passage, La Fin de la civilisation raconte la triste descente aux enfers d’Henry, un nouveau chômeur aux cheveux blancs refusant de ramper pour plaire aux patrons qui, de toute façon, préfèrent les jeunes loups. À la tête d’une famille de la classe moyenne, maintenant sans moyens, il perd pied et entraîne son épouse avec lui. La vie peut être laide, très laide.
Dans la même veine que les autres pièces de la série présentées au Quat’Sous la saison dernière (L’Enfant-problème, Pour adultes seulement, Le Génie du crime), cette comédie noire est la plus dramatique et la plus sordide du lot. Peut-être parce qu’après des parents miséreux, des policiers ripoux et des criminels sans cervelle, ce sont Monsieur et Madame-Tout-le-monde qui occupent la chambre 21 du fameux motel…
Après deux ans d’entrevues et de faux espoirs, Henry est «un mort qui marche», un homme au bout du rouleau. «On nage en pleine dépression. Ça ressemble aux Raisins de la colère dehors, en ce moment. Plein de monde qui marchent la tête baissée, le dos courbé. Comme des victimes d’une catastrophe épouvantable», lance-t-il hargneusement à sa femme Lily. Leur mariage se désintègre: Lily le harcèle pour qu’il décroche un emploi, tandis qu’il lui rappelle sans cesse «qu’elle ne sait rien faire». Piquée au vif, elle lui prouvera le contraire. Inspirée par sa voisine de chambre Sandy (Isabelle Vincent), Madame se transforme en prostituée – «Un soir on se chicane, pis le lendemain, t’es pute!» – tandis que Monsieur a les plombs qui sautent. À leurs problèmes s’ajoute une enquête, menée par deux drôles de pistolets, sur une série de crimes auxquels pourrait être mêlé Henry.
En «maîtresse de maison» qui craint de perdre son bungalow, Micheline Bernard offre une prestation à fleur de peau, émouvante sans tomber dans le pathos. Plus effacé, Vincent Bilodeau campe un Henry aux yeux hagards, crédible et touchant. Un autre couple, professionnel celui-là, se greffe au premier: Max (Marcel Leboeuf) et Donny (Gilles Renaud), les policiers croisés dans Pour adultes seulement. Ces représentants de l’ordre fuckés feront, à plusieurs reprises, crouler la salle de rire. En alcoolo perpétuellement imbibé, vivant un amour à sens unique pour Lily, Gilles Renaud est d’une truculence irrésistible. Il faut l’entendre discuter affaires avec la délurée Sandy pour y croire…
L’action de La Fin de la civilisation se déroule sur environ cinq semaines, réparties en blocs télescopés. Si la structure en boucle (la pièce est conclue par son commencement) est originale, elle rend toutefois la chronologie des événements difficile à comprendre. Cela dit, bien qu’inexpérimenté, le metteur en scène Denis Bernard se révèle un directeur d’acteurs habile, permettant aux mots (maux?) dévastateurs de Walker d’atteindre le public de plein fouet. Il affirmait récemment que si sa mise en scène pouvait ébranler un seul spectateur, il serait heureux. Aujourd’hui, il peut dire: mission accomplie.y
Jusqu’au 20 novembre
Au Théâtre de Quat’Sous
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