Luce Pelletier : Sans frontières
Scène

Luce Pelletier : Sans frontières

On peut être à la fois une femme de théâtre expérimentée et une jeune metteure en scène. Avoir fait sa marque et, pourtant, avoir l’impression de devoir encore faire ses preuves. À 36 ans, on peut même être considérée comme une artiste de la relève… Un paradoxe qui, aussitôt énoncé, fait fuser le rire sonore de Luce Pelletier.

Plongée dans sa quinzième saison au Théâtre de l’Opsis, avec dix mises en scène à son actif, la directrice générale et artistique de la compagnie n’est certainement pas une nouvelle venue… pas plus qu’elle n’est une metteure en scène pouvant se reposer sur ses lauriers!

Cette saison, elle poursuit le cycle entamé l’an dernier par Serge Denoncourt en se lançant à la recherche d’auteurs qui seraient en quelque sorte ?«les enfants de plume de Tchekhov». Le fait de travailler durant trois ans autour d’un auteur-pivot constitue, selon la metteure en scène, une chance incroyable.«Dans la mesure du possible, je souhaite que chaque personne impliquée dans une pièce revienne dans une autre au cours des trois ans que durera le cycle Tchekhov», explique-t-elle.

En fait, le grand rêve de cette «fille de gang» serait de diriger une troupe. «J’aurais souhaité pouvoir payer en permanence des comédiens et des concepteurs, mais au Québec, c’est impossible, les subventions étant ce qu’elles sont… Avec ce cycle, toutefois, je m’en rapproche juste assez pour être heureuse.»

Pour alimenter l’an 2 du cycle Tchekhov, Luce Pelletier a pris les grands moyens. Après avoir constaté qu’il lui serait impossible de dénicher des perles d’auteurs russes depuis son bureau de l’Est de la ville, elle s’est rendue sur place, décidée à en revenir avec des oeuvres récentes inspirées par un souffle «tchékhovien», ainsi qu’avec des renseignements sur celles qu’elle avait déjà dénichées. Avec dans ses bagages la traduction française d’une pièce qui l’avait complètement séduite, L’Homme en lambeaux, elle s’est donc envolée le printemps dernier pour Moscou.

Sur place, Luce Pelletier a rencontré l’auteur Mikhaïl Ougarov, ainsi qu’Olga Moukhina, dont la pièce Tania, Tania sera mise en lecture cet automne au Monument-National (tout comme La Poste nationale russe, d’Oleg Bogaev et La Chasse au canard, d’Alexandre Vampilov). Comment a-t-elle su que l’auteur de L’Homme en lambeaux était bel et bien un fils spirituel de Tchekhov? «Je crois que ce sont les personnages et leur cynisme devant les malheurs qu’ils vivent. C’est aussi parce qu’il ne se passe rien dans la pièce, mais qu’en même temps, il se passe plein de choses. Exactement comme dans les pièces de Tchekhov.»

Elle a aussi visité et photographié l’appartement communautaire dont s’est inspiré Ougarov pour créer un lieu exigu abritant six personnages dévorés par l’envie. «Un homme en lambeaux, en Russie, c’est un homme de trop, un homme qui a baissé les bras, et décidé de s’asseoir dans un fauteuil au lieu d’agir. Un homme qui n’a plus d’amibition, un peu comme l’oncle Vania de Tchekhov.»

Le bonheur serait-il dans le renoncement? «Dans cette pièce, il est question de l’envie qu’a un Russe de se procurer mille et une choses, impossibles à obtenir. On se demande si l’on n’est pas plus serein quand on cesse d’envier les voisins.» Cette oeuvre divisée en vingt tableaux «impressionnistes» n’aurait, selon Luce Pelletier, jamais pu être écrite ailleurs qu’en Russie. «Les personnages en lambeaux de la pièce vivent des drames immenses, mais avec une distance et un cynisme que l’on ne pourrait pas avoir ici.»

Le travail fait à partir du texte de ce rejeton de l’immense dramaturge sera-t-il à la hauteur des attentes suscitées par le spectacle précédent du cycle Tchekhov, le très réussi Je suis une mouette (non ce n’est pas ça)? Bien qu’elle en soit convaincue, Luce Pelletier affirme que ce qui lui importe avant tout, c’est d’avoir du plaisir à mener à terme un projet qui «lui colle à la peau». Un détachement probablement inspiré de la sagesse de ses collègues russes. ?«Là-bas, les gens parlent de spectacles, de musées, de livres et, surtout, de la vie. Pas seulement de leur métier. Après tout, c’est beau, l’ambition, mais est-ce qu’il n’y aurait pas une vie en dessous de cela qui est plus importante??»

Du 28 octobre au 27 novembre
Théâtre du Maurier du Monument-National
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