Poème pour une nuit d'anniversaire : La mort en douce
Scène

Poème pour une nuit d’anniversaire : La mort en douce

Dominick Parenteau-Lebeuf vient de rencontrer, vraiment, le public. Prix, lectures publiques et radiophoniques, courtes pièces dans des spectacles collectifs, publications: cela enrichit, certes, mais pour un auteur dramatique, l’épreuve de la scène professionnelle est capitale. Dans la mise en scène de Diane Dubeau, son Poème pour une nuit d’anniversaire nous parvient sans écran ou effets distrayants. Une lecture sobre, dont les créations devraient peut-être toujours bénéficier d’abord. Si, dans cette production du Théâtre de la Nouvelle Lune, on se fait chatouiller un peu l’oreille par les accents inégaux des comédiens, du moins l’oeuvre se fait-elle entendre.

Loin du réalisme, et pourtant les deux pieds dans l’implacable réalité de la mort, cette pièce semble surprendre ses personnages dans une rêverie ou, comme l’indique le titre, dans un poème, avec des images récurrentes, des cris du coeur à la mort et à la vie. C’est le premier anniversaire de la mort de la mère. Son spectre est là, installé sous le porche de la maison familiale, qui semble sur le point de s’effondrer, signe de la dislocation de la famille depuis sa disparition. Le père, meurtri, est celui qui souffre davantage de cet effritement, tentant maladroitement de ramener à lui ses enfants: l’aînée et la cadette sont parties, et le benjamin s’apprête à le faire aussi. Tout au long du spectacle, il construit frénétiquement une maisonnette, chancelante elle aussi; un nouveau nid pour sa famille, mais qui, au bout du compte, n’abritera que le cadavre du chien.

Autour du père, les enfants vont et viennent, silhouettes insaisissables tout à leurs occupations. Cela ressemble à un rêve dans lequel le père se débat, un rêve intense, parfois tendre, le plus souvent angoissant: comme une traversée de la nuit, une épreuve de deuil qui le laissera au matin apaisé. En effet, on reconnaît les récurrences, les obsessions surréalistes du rêve: le fils (Martin Fréchette) sort des valises et les aligne méthodiquement; l’aînée (Caroline Binet) part derrière la maison égorger des poulets un à un, puis elle vient les empiler à l’avant-scène, etc. Leurs allées et venues, étranges, contribuent à l’impression du père de ne pas avoir prise sur eux.

C’est le tourment de ce personnage, pivot de la pièce, qui soutient surtout l’intérêt. Jean Asselin, comédien trop rare sur nos scènes, parvient à nous commmuniquer des états d’âme successifs: espoir, inquiétude ou colère… Comme d’habitude, il met à profit un travail du corps précis et semble, par moments, transpercé de douleurs. Si les autres personnages des enfants demeurent esquissés, celui de la cadette (la jeune Anne Casabonne s’y révèle très juste) occupe une place à part, puisqu’elle devient le trait d’union entre la mère et le père, entre la mort et la vie. C’est elle qui, ultimement, tire le père du côté de la vie.

De ce passage de vie à trépas, l’auteure parle sans sentimentalité puisque les regrets et le refus d’accepter la mort rencontrent, chez la mère, une ferme opposition: elle leur parle de la libération du corps souffrant, et célèbre son premier anniversaire avec une légèreté de gamine. Anne-Marie Provencher prête une attitude désinvolte à ce personnage, dont les sursauts de nostalgie sont vite chassés. À ceux qui s’activent en bas, elle adresse des commentaires, des conseils, grondant surtout le père qui refuse de laisser partir les petits du nid.

En parallèle, une autre agonie est exposée: celle du chien, membre à part entière de la famille. Ce rôle, poignant, est incarné par un Julien Poulin vêtu d’une robe de chambre, souffreteux, faible et râlant. Un vieux chien qu’on néglige de nourrir et qui, lorsqu’il évoque l’oubli et la compassion, renvoie à chacun l’image de sa propre fin.

Jusqu’au 30 octobre
À l’Espace Libre
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