Alexandre Marine : Relire ses classiques
Créé l’hiver dernier sans promotion ni tapage médiatique, à l’Espace Geordie, le temps d’une dizaine de représentations, Hamlet, dirigé par Alexandre Marine, vient de décrocher le Prix de la Critique pour la saison 1998-1999. Les critiques ont qualifié cette adaptation de brillante, et souligné que le directeur du Théâtre Deuxième Réalité offre «une relecture inventive de ce classique». «Dans ce spectacle surprenant, peut-on lire dans le communiqué de l’AQCT, la créativité théâtrale et la rigueur du jeu suppléent au manque de moyens. Intelligence et ludisme se conjuguent pour donner un sens actuel à cette oeuvre universelle.»
Fort heureusement, le Théâtre de la Manufacture a décidé d’accueillir, en codiffusion avec la troupe de Marine, la reprise d’Hamlet, dès le 3 novembre, à La Licorne.
Quel est donc ce point de vue original adopté par Alexandre Marine? D’abord, le metteur en scène d’origine russe a retenu seulement sept personnages de la pièce la plus connue de Shakespeare: Hamlet, le roi, la reine, Polonius, Ophélie, Laertes, et le fou du roi, Yorick, qu’on ne voit habituellement pas dans la pièce, à l’exception de son crâne, exhumé par le fossoyeur. Marine a mis à l’avant-plan le personnage du fou, «un homme à l’inconsciente sagesse et aux masques multiples», qui devient l’alter ego du prince du Danemark.
Ensuite, il a demandé aux acteurs d’opter pour un jeu physique, psychologique et très ludique. Parmi la (jeune) distribution, on retrouve des comédiens qui ont déjà travaillé avec Marine, et d’autres habitués des théâtres en marge. Il s’agit de Vitali Makarov (Hamlet), Stéphane Brulotte (Yorick), Patrice Gagnon, Karyne Lemieux, Maria Monakhova, Alejandro Moran et Patrice Savard.
Personnage universel s’il en est, Hamlet est la cible de moult interprétations depuis sa création en 1600. En fait, Hamlet semble aussi mystérieux que son énigmatique auteur. Pour Marine, «l’ambiguïté même d’Hamlet et des personnages secondaires, l’intrigue et l’histoire qui en découlent font que cette pièce peut prendre des directions multiples et emprunter des voies esthétiques variées. C’est une pièce sur la liberté. La liberté de choisir ce que l’on veut faire, de vivre de la façon dont on l’entend.»
Dans cette production, Hamlet ressemble à un antihéros, un homme simple et vulnérable, perdu dans un milieu où l’on glorifie l’action et le dépassement surhumain.
Parcours éclectique
Acteur, metteur en scène, auteur et professeur à l’Université McGill, Alexandre Marine a un parcours théâtral assez unique et imposant. Né en Sibérie, il entame des études théâtrales à Moscou en 1976. À sa sortie, le jeune acteur devra se servir de son talent d’acteur, mais en dehors de la scène. «Je venais de finir mes études, j’avais 23 ans et des officiers de l’Armée rouge m’ont enrôlé pour mon service militaire. Du jour au lendemain, j’étais obligé d’aller me battre en Afghanistan. J’étais terrifié… Car je me savais incapable de tuer quiconque. Alors, logiquement, j’allais y laisser ma peau. J’ai donc tout essayé pour convaincre les autorités militaires de ne pas m’y envoyer. «Je leur ai dit que j’avais des problèmes de vision et d’ouïe. Mais j’ai passé l’examen médical haut la main. Finalement, je leur ai confié que j’avais des problèmes psychologiques. C’était ma dernière chance. Et j’ai si bien joué le fou que l’Armée a décidé de ne pas m’envoyer au front.»
Après cet épisode, Marine a enseigné à l’École de Théâtre de Moscou, fondée par Stanislavski. En 1991, il effectue une tournée aux États-Unis pour jouer dans deux pièces avec le Studio Théâtre Tabakov. Il réalise alors que le milieu théâtral moscovite est sclérosé. Il débarque à Montréal en 1992 pour diriger quelques productions à l’École nationale de théâtre du Canada. Stimulé par la vitalité du milieu théâtral québécois, il décide de rester ici. En 1995, il fonde le Théâtre Deuxième Réalité, une petite compagnie avec laquelle il va produire, sans grands moyens, des spectacles appréciés par la critique: The Swan, Le Marchand de sable. Cet automne, il partira pour le Japon où il signera une mise en scène de Mère Courage. En mai 2000, il reviendra au Théâtre Deuxième Réalité pour créer une pièce d’après une nouvelle de Tchekhov, Salle # 6. Un retour aux sources pour cet homme de théâtre qui repousse constamment les frontières de son art.
Du 3 au 27 novembre
À La Licorne
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