Manon Oligny : La loi du désir
Chorégraphe occupant une case exclusive dans son art, MANON OLIGNY signe des oeuvres bigarrées et personnelles. Son dernier né: une pièce sur les ravages du désir.
Décidément, la chorégraphe Manon Oligny est dans tous ses états ces temps-ci. Ses idées se bousculent pêle-mêle dans son discours sur sa dernière pièce, Études #2, qui prend l’affiche de Tangente dès ce soir. «C’est très étrange, je n’ai jamais été aussi paniquée à l’idée de présenter une pièce. C’est la première fois que je me commets autant, et que je parle de sujets aussi personnels dans mon travail. Il y a quelques semaines, on a présenté un extrait au marathon chorégraphique du FIND. À trois jours de la représentation, j’ai failli annuler car j’avais peur de la réaction du public», explique-t-elle.
Chorégraphe occupant une case exclusive dans son art, Manon Oligny signe depuis près d’une dizaine d’années une gestuelle théâtrale réaliste, ponctuée de mouvements stylisés, et souvent interprétée par des comédiens sur une musique populaire. Le milieu de la danse ne sait pas trop quoi penser de ses oeuvres bigarrées, le public, lui, adore. Sa précédente chorégraphie, Étude # 1, qui portait sur le corps-objet vu sous l’angle de la séduction, a attiré de nombreux curieux. «Après cette pièce, j’avais tellement désacralisé la danse, je l’avais tellement rendue décorative et inorganique que je me disais: "Qu’est-ce que je peux faire après ça?"»
Pour répondre à cette question, elle s’est envolée pour Paris dans l’espoir de rencontrer son cinéaste-fétiche, Jean-Luc Godard. S’inspirant des structures de ses films pour ses propres structures chorégraphiques, elle souhaitait confronter ses idées avec les siennes. Rien de moins! «Je m’intéresse souvent à des gens qui ne s’intéressent pas à moi, confie-t-elle en riant. En fait, j’adore la confrontation; j’aime aller vers des choses difficiles.»
Le rendez-vous avec le Godard n’a jamais eu lieu. En lieu et place, elle a rencontré à plusieurs reprises son premier assistant, Gilbert Guichardière. Ensemble, ils ont discuté de la représentation du corps dans le sport et dans l’art. Ce dernier l’a par la suite mis en contact avec la femme de Godard, la cinéaste Anne-Marie Miéville. De fil en aiguille, Manon Oligny a rencontré d’autres artistes françaises: la photographe Dany Leriche (pour qui elle a posé); la designer Chantale Thomas; et la cinéaste du controversé Romance, Catherine Breillat. Ces rencontres l’ont à la fois bouleversée et totalement remise en question. «J’ai eu l’impression d’avoir vieilli de dix ans. Elle m’ont énormément fait mal et en même temps enrichie. Mais elles ont confirmé mon désir de faire de la danse. Si je ne réussis pas dans mon art, je ne sais pas ce que je vais pouvoir faire d’autre», dit-elle.
«Après toutes ces rencontres, je ne ressentais plus l’urgence de rencontrer Jean-Luc Godard. Quand j’ai amorcé les répétitions d’Étude # 2, au printemps dernier, j’avais 12 cahiers de notes ça d’épais.» La cerise sur le gâteau? Elle a appris, au même moment, la démission de ses danseuses complices: Marie-Claude Poulin et Line Nault. «Mes danseurs sont irremplaçables, car je suis possessive au maximum. Je voulais mourir…» Mathilde Monnard et Anne-Marie Boisvert ont finalement relevé le défi. Pendant des semaines, elles ont improvisé en compagnie des comédiens Daniel Desputeau et Guy Trifiro des mouvements dont la bonne majorité a pris la direction de la poubelle. Dur, dur pour l’ego. Mais, en retour, ces danseurs ont inventé des personnages très proches d’eux. Rares sont les chorégraphes qui laissent autant de liberté aux interprètes dans le processus de création. «Je ne veux pas que mon travail soit trop abstrait ni trop imagé, explique Manon Oligny. Étude # 2 est une chorégraphie sur le désir, sur le trop-plein et sur le chavirement. Je me suis inspirée d’expressions comme "se faire prendre", "prendre l’autre", "chuter avec l’autre". Je n’avais jamais travaillé de cette façon-là.»
Chose certaine, les idées ne manquent pas à cette chorégraphe qui a nommé sa compagnie Manon fait de la danse en référence au personnage de livres pour enfants, Martine. Nombreuses sont les surprises qui attendent le spectateur. «Par exemple, avant le spectacle, il va pouvoir aller sur scène et lire le journal de bord d’Anne-Marie Boisvert, écouter la chanson préférée des danseurs, s’asseoir sur un divan du décor, etc. C’est important qu’il "prenne possession" de cet espace sacré», explique Manon Oligny. Et Jean-Luc Godard dans tout ça? Manon Oligny ne l’a pas oublié. Lorsqu’on s’est quittées, la chorégraphe s’est précipitée à la Cinémathèque québécoise pour assister à la représentation d’un film rapportant les pires et les meilleures entrevues du cinéaste. Intense, vous dites?
Du 28 octobre au 7 novembre
À Tangente
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