Stabat Mater : Post mortem
Même devant les plus brillantes réussites de Normand Chaurette, on ressent généralement une distance, un pudique voile dressé devant les émotions cachées au creux de ses pièces. Cette fois, le doué dramaturge a plongé tête première dans ce qui est peut-être la plus grande des douleurs: le drame d’une mère qui perd son enfant. Or, dans la création très attendue de cette nouvelle pièce au TNM, aucune émotion ne parvient à percer le mur de la scène…. Méchant problème pour un texte en forme de lamento, d’autant plus qu’il s’achève par ce discours: «Qu’avez-vous ressenti? Voilà ce qui m’importe (…)» Je vous épargne le reste…
«Oratorio» pour dix-neuf mères éplorées, Stabat Mater II est une pièce très consciente d’elle-même, et du poids d’une douleur qui est davantage mise en scène, selon un schéma fort répétitif, que transmise. Une pièce bavarde qui contient même en son sein un encombrant questionnement autoréférentiel: un personnage de romancière (Mireille Thibault) y décrète qu’il est indécent pour un artiste de vampiriser la souffrance d’autrui pour la transformer en art… Comme si l’auteur n’avait pu s’effacer totalement au profit de ses Reines de la souffrance.
Les grands motifs de Chaurette sont au rendez-vous: la mort, bien sûr; mais aussi l’irréalité du lieu (une ville inventée, Manustro); l’irruption de l’insolite; la récurrence de l’étranger (ici, des Maghrébins qui flânent près des écluses); l’ambiguïté de l’acte créateur; la dualité – les monologues se répètent parfois, à des variantes près, dans la bouche de deux personnages. Mais il y manque quelquefois la remarquable maîtrise stylistique et structurelle qui soutenait ses pièces précédentes. Certains monologues plus faiblards compromettent la ligne mélodique du texte.
Stabat Mater II orchestre une étrange collision entre le sacré et le trivial, l’onirisme et les considérations concrètes qu’entraîne la mort. Tout l’oeuvre de Chaurette est ainsi juché en équilibre entre le lyrisme et un humour absurde, sur la frontière du réel et du rêvé. Mais ici, le spectacle semble chercher une forme, une cohésion qui lierait ces monologues. Privé de l’intrigue, l’enquête qui encadrait souvent ses textes, de Fragments d’une lettre d’adieu au Passage de l’Indiana, privé surtout d’un mystère fondateur, qui lui aurait donné un peu d’épaisseur, ce rituel paraît statique, longuet, disparate, inutilement répétitif.
Formellement, le spectacle comporte quelques éléments élaborés: le décor – conçu par Danièle Lévesque -, forcément clinique, mais ouvert sur une dimension plus immatérielle,, cette morgue soigneusement dédoublée, dont la froideur fait écho à une ville où l’on a sacrifié l’humanité au gigantisme. Les costumes, vaguement aquatiques, de François St-Aubin, dans leurs multiples nuances de gris, de vert-de-gris, de bleuté.
Mais c’est dans l’orchestration globale que la mise en scène de Lorraine Pintal échoue, incapable de donner un ton crédible à ce rituel. La distribution, pourtant composée de bonnes comédiennes, nage généralement dans le réalisme psychologique, oscillant entre le larmoyant et l’outrance. On retiendra surtout la fragilité de Michelle Rossignol, qui, dans l’un des rares contacts physiques de la pièce, étreint le cadavre de sa fille, ainsi que la prestance tragique de Marthe Turgeon.
Un bouquet de moments très épars, dans un océan d’ennui. Elle est là, la véritable tristesse qui émerge de cette création décevante…
Jusqu’au 14 novembre
Au Théâtre du Nouveau Monde
Voir calendrier Théâtre