Scène

Festival de l’Union des théâtres de l’Europe : Menu continental

Emblématique d’un continent de plus en plus unifié, l’Union des théâtres de l’Europe (UTE) a été fondée en 1990 par Jack Lang et le regretté metteur en scène Giorgio Strehler. L’association s’est donné un Festival, que les villes des seize théâtres membres de ce club sélect accueillent tour à tour. Le Théâtre National de Strasbourg – charmante cité alsacienne, qui est aussi une ville-symbole, puisque le Parlement européen y siège – est actuellement l’hôte de la huitième édition, qui s’est ébranlée le 5 octobre.

Carrefour d’échanges, la manifestation s’étale sur un mois et propose, dans la sélection officielle, 16 pièces, en plus des habituels colloques, lectures publiques, films, rencontres… Un programme qui, dans sa première portion, s’est avéré hétérogène, perché entre modernité et tradition, très inégal et, somme toute, plutôt décevant, en regard de l’envergure du rendez-vous. En voici un aperçu…

Quelques morceaux intéressants venus de l’Est, d’abord. Dans un festival qui s’interroge ouvertement sur la disparition ou l’éclipse des grands «maîtres» européens (les Strehler, Stein, Brooks…), il faisait bon découvrir un jeune metteur en scène, Árpád Schilling, qui, à 25 ans, jouit déjà d’un succès insolent (cinq de ses productions sont jouées cet automne à Budapest!), alors qu’il est toujours aux études… Donnant du corps (littéralement) à une œuvre de jeunesse de Bertolt Brecht, son Baal imparfait mais inventif était d’une énergie brute, charnelle, en forme de cabaret sauvage à l’anarchie organisée. Une façon de bousculer la tradition scénique avec laquelle certains créateurs d’ici n’auraient pas de peine à s’identifier… Aussi de Hongrie, une délicieuse friandise: Tyukodi pajtás, du Théâtre Katona, un brillant collage sonore, où les accessoires courants deviennent prétextes à musique, alors que l’opéra y est déconstruit et parodié.
Adaptée du roman éponyme écrit dans les années 20 par l’écrivain russe visionnaire Andreï Platonov, Tchevengour offrait une métaphore assez saisissante de l’impossible utopie communiste, malgré un manque de clarté du récit et un certain statisme. Le spectacle du Maly Teatr (Saint-Pétersbourg), mis en scène par Lev Dodine, s’imposait, entre autres, par l’utilisation brillante du décor mobile (un mur-plancher) et la vérité désespérée qui émanait de la distribution.

En marge du Festival, le Théâtre Le Maillon, sis dans la banlieue multiethnique de Strasbourg (une salle à vocation éclectique et exigeante, qui accueillera d’ailleurs cet automne deux productions québécoises: Littoral, de Wajdi Mouawad, et Le Sacre du printemps, de Marie Chouinard), présentait une trilogie toute shakespearienne de Carlo Cecchi. Le metteur en scène et Matteo Bavera ont conçu ce projet pour le quartier populaire de Palerme qui hébergeait le Teatro Garibaldi, une salle délabrée qu’ils ont du coup revitalisée. Le contexte silicien est donc palpable dans ce Hamlet minimaliste, en cravate, aux costumes criards, joué en accéléré, dans un sentiment d’urgence, sur un ton presque quotidien. Une démarche surprenante qui comporte des éléments intéressants, mais pour l’émotion, la grandeur de la tragédie et l’intensité du jeu, on repassera… En contraste, son Measure for Measure, de facture plus conventionnelle, mais plus convaincant, jouait plutôt de lenteur et de limpidité, porté par l’interprétation vibrante d’Iaia Forte en Isabelle.

La Royal Shakespeare Company y est allée d’une production de Tales from Ovid, une narration des grands mythes grecs sous la plume de Ted Hughes. Là où on aurait pu craindre un académisme empesé, la vénérable troupe britannique (créée en 1769!) donnait plutôt dans l’excès contraire: un conte empreint de fantaisie, divertissant, démontrant l’art d’illustrer avec trois fois rien et énergisé par une excellente musique live, mais d’une approche un peu simpliste et infantilisante.

À l’opposé: l’Ajax-Philoctète, un montage tragique d’après Sophocle, dirigé par Georges Lavaudant, directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe. Un spectacle rigoureux, statique, austère, atemporel, très intérieur, inégalement interprété par son duo de comédiens, mais bien fait pour qui goûte le genre…

Le Festival, qui se poursuit jusqu’à dimanche, semble toutefois réserver quelques morceaux alléchants en fin de parcours, dont Die Spezialisten, une création du réputé metteur en scène suisse allemand Christoph Marthaler (dont les Montréalais ont déjà pu savourer L’Heure zéro ou l’art de servir au Festival de théâtre des Amériques, il y a deux ans), et Bildmakarna, du jeune auteur suédois Per Olov Enquist, spectacle qui, lors de sa création en février 98, marquait le retour à la mise en scène, après neuf ans d’absence, du grand maître lui-même: Ingmar Bergman, toujours actif à 81 ans…

Marie Labrecque était l’invitée du TNS, dans le cadre d’un stage de jeunes critiques organisé par l’Association internationale des critiques de théâtre.