Micheline Lanctôt : Le passé retrouvé
Scène

Micheline Lanctôt : Le passé retrouvé

Réalisatrice, comédienne et professeure, MICHELINE LANCTÔT aime aussi se consacrer au théâtre… quand on pense à elle. Six ans après Oleanna, elle signe la mise en scène de la meilleure pièce de Gratien Gélinas, Bousille et les justes, au Rideau Vert.

Depuis près de 30 ans, Micheline Lanctôt fait partie de notre paysage culturel. Sauf au théâtre, où on la voit trop rarement. Pourtant, ce n’est pas le désir qui manque. C’est tout simplement que les directeurs de compagnies ne pensent pas souvent à la réalisatrice de Sonatine.

Après Pierre Bernard au Quat’Sous, Serge Turgeon a eu l’excellente idée de proposer à Lanctôt la mise en scène de Bousille et les justes, de Gratien Gélinas, au Théâtre du Rideau Vert, du 9 novembre au 4 décembre. A priori, cela peut sembler un drôle de choix. Lanctôt semble plus près de David Mamet que de Gélinas. Elle est reconnue comme une femme d’action qui regarde vers l’avenir. Ses idées progressistes et son franc-parler peuvent-ils convenir à une oeuvre du répertoire marqué au fer rouge du Québec catholique, d’avant la Révolution tranquille?

«Plus que la Grande Noirceur et le duplessisme, au-delà de l’étroitesse d’esprit d’une société dominée par un clergé à la vue courte, c’est à l’hypocrisie, à la bigoterie, à l’arrivisme, à l’ignorance, à la lâcheté, à l’abus de pouvoir, que Bousille se trouve confronté», explique la metteure en scène. En effet, la pièce créée en 1958, un an avant la mort de Duplessis, dépeint un monde d’hypocrisie. Le pauvre Bousille, candide malgré lui, l’apprendra à ses dépens. Et il deviendra le symbole d’un Québec assoiffé de lumière et de vérité.
Or Lanctôt refuse de voir Bousille comme une victime: «J’ai toujours admiré les gens qui ne savent pas se défendre. Non seulement eux, mais aussi ceux qui ne veulent pas et ne souhaitent pas se défendre. C’était le thème de mon premier film, L’Homme à tout faire, en 1980, qui racontait les déboires sentimentaux d’un homme bonasse et naïf.
«Je nage peut-être à contre-courant, poursuit Lanctôt. De nos jours, la mode est plutôt aux justiciers et aux héros de films comme Fight Club. Le credo actuel pourrait être: >Casse-lui la gueule, et tout va aller mieux!> Aujourd’hui, le moindre petit bobo fait peur. Il ne faut plus offenser personne. On veut évacuer la souffrance de la vie, c’est totalement absurde! Au contraire, Bousille ne se défend pas. Et il faut de la force pour accepter la douleur.»
Selon Lanctôt, Bousille n’est pas une victime mais un révélateur. «Je ne veux pas que Benoît (Brière) joue un pauvre gars dont tout le monde abuse. Je ne veux pas que le public le plaigne, mais plutôt qu’il soit choqué par ce qui lui arrive. La caractéristique du personnage, c’est son inoncence, sa naïveté. C’est une tête de Turc: Bousille est plus proche du martyr que de la victime. La métaphore de son drame, c’est l’agneau pascal.»

Pour un théâtre populaire
Toute sa vie, Gratien Gélinas, qui est décédé en mars dernier, a défendu un théâtre populaire. Dans le livre d’entretiens entre le dramaturge et Victor-Lévy Beaulieu, publié en 1993, Gélinas évoque ses propos tenus lors de la création de Bousille et les justes, proches de ceux de Jacques Copeau: «Travaille pour les tiens, tu n’auras pas perdu ta vie. Écris pour l’homme de ton pays, de ta ville, de ta rue. Si tu écris pour lui, il viendra, cet homme oublié de ta rue, s’asseoir devant ton oeuvre, et les mains posées sur les genoux, il rira et pleurera. Et il n’aura point envie de s’en aller, car, comme jamais jusque-là, il se verra tel qu’il est lui-même.»

Micheline Lanctôt trouve ce parti pris remarquable. Elle croit que la distance qui sépare la culture populaire et celle de l’élite s’est élargie au Québec depuis les années 70. Pour elle, la parole de Gélinas est résolument actuelle et essentielle. «Autant que possible, j’ai replacé la pièce dans son contexte historique, en travaillant l’ambiance afin que les spectateurs baignent dans le climat sociopolitique de la fin des années 50. C’est drôle, mais j’ai réalisé que cette époque-là n’est pas si loin de nous; la référence n’est pas obscure pour les jeunes d’aujourd’hui. Cette période de l’histoire est encore extrêmement vivante. Par exemple, dans la pièce, un personnage se demande si l’on doit créer un stade pour une équipe de base-ball. Ça vous rappelle quelque chose?!»
Reconnue pour son véritable talent pour la direction de comédiens, Lanctôt est ici tombée dans une talle d’acteurs. Au premier rang, Benoît Brière avec l’énorme défi de reprendre le rôle que Gélinas a joué plus de 500 fois. La metteure en scène ne tarit pas d’éloges à son égard: «C’est un interprète qui va directement à l’essentiel du personnage et peut disparaître sous la peau de Bousille. C’est vraiment un talent impressionnant.

Outre Brière, Nicole Leblanc, Stéfan Perreault, Charles Imbeau, Marie Charlebois, Diane Langlois, Marie-Chantale Perron, Marc Grégoire et Vincent Giroux complètent la distribution de la production de ce classique de notre dramaturgie, quelques semaines après la reprise de Tit-Coq. Reste à voir si le premier a mieux vieilli que le dernier…

Du 9 novembre au 4 décembre
Au Rideau Vert
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