Un mari idéal : Surface plane
Scène

Un mari idéal : Surface plane

Au-delà des perles, aphorismes et réparties spirituelles, volontiers amorales, qui les émaillent, les comédies d’Oscar Wilde traitent avant tout, de manière légère, mais pertinente et impertinente, de questions morales. Sous la parure du style, qui a fait son succès et formé le brillant vernis de ses pièces, le dramaturge irlandais se heurtait aux règles sociales et mettait en exergue l’hypocrisie de son temps.

Série de rebondissements sur fond de dilemmes sérieux, Un mari idéal s’apparente ainsi à une sorte de vaudeville moral. Les personnages s’y révèlent plus profonds, moins unidimensionnels qu’au premier abord, cachant une face méconnue de leur personnalité.

Mais la pièce n’est pas sans imperfections: la conversion subite de Lord Goring aux vertus du mariage apparaît forcée, tout comme est artificielle toute sa relation avec Mabel, tant Wilde a projeté de sa propre identité sur cet être sexuellement ambigu, qui joue de façade… La pièce montre aussi une certaine fracture de style entre les mots d’esprit jetés à la volée et l’intrigue plus conventionnelle, centrée sur un politicien respecté qu’une femme vénale et ambitieuse menace d’éclabousser, en révélant la honteuse origine de sa fortune.

Pour le dramaturge, la vie et le théâtre ont toujours été étroitement imbriqués, l’un contaminant l’autre: cette comédie sur la morale, le pouvoir, la faute et le pardon, la vérité et les masques sociaux, où un homme réputé craint de voir exposer un secret «honteux», a été créée l’année même (1895) où Oscar Wilde sera condamné pour homosexualité. Eh, oui, cette dénonciation du puritanisme, de «l’obsession moderne pour la moralité» (traduction libre), de l’amalgame entre vie publique et vie privée, n’a guère pris de rides… hélas!

Construite autour de l’apparence (voir le miroir en arrière-fond du luxueux et encombré décor, applaudi en lever de rideau…), la mise en scène de Françoise Faucher n’arrive pas vraiment à dégager les lignes de force du texte, semblant elle-même avoir troqué l’image et le style pour la substance. Le spectacle présenté au Théâtre Jean-Duceppe n’est pas totalement convaincant sur les deux tableaux: handicapée par des longueurs – dont quelques changements de décor -, la comédie manque de rythme. Tandis que la pièce, adoptant parfois une tonalité plus sombre, s’appesantit sur le drame de Sir Chiltern sans parvenir à émouvoir.

Il faut dire qu’il y a un problème de fond avec le couple central, celui auquel on devrait normalement s’attacher. Benoit Gouin semble mal à l’aise dans la peau d’un personnage, qui trouve le tour d’être à la fois éteint et manquant de naturel, très raide même dans ses élans émotifs. Méconnaissable, la voix très maîtrisée, Marie-France Lambert joue avec dignité et classe la plus-que-parfaite Gertrude, un rôle difficile. Malheureusement, son jeu apparaît fort contraint. Comme si on avait décidé de mettre l’accent sur les «rôles» que ces personnages jouent…

Sur le plan du pur divertissement, le spectacle comporte des atouts: le toujours juste Gérard Poirier croque avec une heureuse gouaille son savoureux vieux grognon. Béatrice Picard amuse aussi parfois avec l’incessant jacassement de son adorable écervelée. Par ailleurs, Sophie Faucher ne manque pas de prestance en «méchante».

Dandy jusqu’au bout des ongles, dans ses postures, dans sa façon d’être en perpétuelle représentation, le Lord Goring d’Yves Jacques est un personnage-miroir sur lequel on projette sans peine la figure d’Oscar Wilde, prônant et se réfugiant dans un détachement insouciant et superficiel. Mutin, léger, poseur même, déployant une grande aisance dans ce rôle qui lui sied bien, le comédien traverse presque toute la pièce le sourire aux lèvres.

Mais il demeure que ce personnage, orphelin d’une épaisseur dramatique que le spectacle ne lui a pas donnée, ressemble parfois à une succession d’agréables one-liners (les descendants des aphorismes…), qui font flèche de tout bois. Ses revirements plus dramatiques, ou humanistes, apparaissent ainsi peu crédibles.

Jusqu’au 4 décembre

Au Théâtre Jean-Duceppe

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