Critique : À quelle heure on meurt?
Jusqu’au 4 décembre
Au Grand Théâtre
À quelle heure on meurt?, collage d’extraits d’ouvres de Réjean Ducharme, frappe d’abord par la beauté et la force de la langue de l’auteur. C’est un torrent, un ouragan sauvagement beau; on en sort échevelé.
Le spectacle présente Mille Milles et Chateaugué, deux personnages «malades d’affection» qui, pour se garder intacts, décident de se suicider. Il y est question de mourir, mais aussi – et surtout – d’aimer.
Ce désir enflamme la scène et les sept comédiens incarnant ces deux personnages. Ils deviennent passion, parfois contenue et sourde, le plus souvent explosant en cris, en jeux et en danse. Désordonnés, irrationnels parfois, leurs mouvements sont l’éruption de l’énergie de leurs personnages; retenus, en équilibre, ils illustrent leur inquiétude, la précarité de leur jeunesse et de leur pureté.
La représentation de la pièce que proposent Guy Alloucherie et ses acolytes prend la forme d’une répétition. Plusieurs éléments le suggèrent: plateau vaste, sans décor; quelques meubles, costumes et accessoires; comédiens jouant, lisant le texte et devenant même, parfois, bruiteurs. La structure elle-même du spectacle en est modifiée: bouleversement de l’ordre des tableaux, reprise de plusieurs scènes.
Contrastes, répétitions, variations: autant d’éléments de rupture qui empêchent le réalisme et révèlent la profondeur du texte, dont la répétition, par différentes voix, enrichit chaque fois l’interprétation d’une nouvelle couche de sens. Échappant à la linéarité, la pièce voit sa force poétique décuplée par la poésie de la mise en scène inventive, qui présente un tourbillon d’images créées à même le jeu des comédiens.
Plusieurs moments intenses, portés par ces personnages déchirés qui crient leur vulnérabilité et leur besoin d’amour, ne peuvent que toucher le spectateur. À travers ce collage de Martin Faucher, les mots de Ducharme nous giflent. De leur pureté fragile, les personnages nous jettent à la face l’absurdité des compromissions et de l’enlisement dans la routine. Et dans l’énergie qu’ils mettent à vouloir mourir, Mille Milles et Chateaugué déploient une féroce rage de vivre.
À quelle heure on meurt?: un spectacle audacieux, tonique pour qui veut bien écouter la voix de Ducharme et se laisser bousculer par la fougue de sa mise en scène ainsi que par la passion de ses jeunes interprètes.