Le Menteur : À chacun sa vérité
Scène

Le Menteur : À chacun sa vérité

Au son des voix suaves et impérissables de Dalida et d’Alain Delon, dans Parole, paroles, un groupe de jeunes gars et filles se trémoussent sous les projecteurs d’une discothèque. Tour à tour, ils se rendent parler dans un micro placé à l’avant-scène. S’adressant à une hypothétique conquête, dans un accent parisien pointu et branché, les comédiens introduisent le personnage qu’ils s’apprêtent à incarner dans Le Menteur de Corneille, à l’affiche du Théâtre Denise-Pelletier.

Avec ce prologue aussi drôle que surprenant, le metteur en scène Martin Faucher déroute d’emblée le public. Venu assister à la quintessence du théâtre classique français, le public se retrouve au pays de Dutronc, d’Halliday et de cette chère Dalida. Que peuvent bien avoir en commun les alexandrins cornéliens et la faune parisienne à gogo des années 1970? Et jusqu’où peut-on pousser les limites de la relecture des classiques? Eh bien! si son pari n’est pas totalement gagné, Faucher a le mérite de donner beaucoup de fraîcheur et de jeunesse à un théâtre souvent perçu comme vieillot.

Dans Albertine disparue, Marcel Proust fait dire à son narrateur que le mensonge, souvent commandé par la recherche du plaisir, est «essentiel à l’humanité». Pierre Corneille ne va pas aussi loin, mais il s’amuse à nous montrer dans sa comédie comment le mensonge peut, en amour, devenir l’arme des séducteurs. Écrite en 1644, après ses chefs-d’oeuvre – Le Cid, L’Illusion comique et le grave Polyeucte -, cette pièce, à laquelle il donnera une suite quelques années plus tard, constitue un peu l’ancêtre du marivaudage.

Pour Faucher, Dorante, le protagoniste du Menteur, un jeune homme de province fraîchement débarqué à Paris qui excelle dans l’art de mentir pour conquérir le coeur des Parisiennes, «n’est ni un arnaqueur ni un ambitieux, mais un poète». Et de Corneille à Guitry, en passant par Feydeau et Cocteau, ils sont nombreux les poètes français qui ont usé d’artifice pour embellir les sentiments.

Faucher a choisi de télescoper les modes et les époques (le travail des concepteurs dont le décor de Claude Goyette et les costumes très kitsch et modernes de Carmen Alie et Denis Lavoie vont dans le sens de cette proposition). Assis à la terrasse d’un café du premier arrondissement, arborant lunettes noires et béret de travers, les personnages semblent sortis d’un film d’Éric Rohmer. La jeune distribution contribue à donner de la vitalité au spectacle. David Savard dans le rôle de Dorante s’avère un jeune premier hors pair, Pascale Desrochers (qui ressemble à Arielle Dombasle), Gabriel Sabourin, Éric Bernier, et Stéphane Simard sont très habiles dans le registre comique tout en servant bien la poésie cornélienne. Une nouvelle venue du Conservatoire de théâtre, Brigitte Lafleur, se révèle une excellente comédienne dans un second rôle. Pierre Collin (le père de Dorante) tranche avec le reste de la distribution tant par ses atours que par son jeu (une caricature du style affecté de la Comédie-Française) et a conquis la salle.

Néanmoins, cette mise en scène a aussi les défauts de ses qualités. Si elle risque de séduire le jeune public du Théâtre Denise-Pelletier par son côté iconoclaste et caricatural, elle tombe parfois dans la facilité. Par moments, on se croirait au milieu de La Ribouldingue ou d’une autre émission jeunesse tant cette production est en panne de sens.

On peut secouer la forme d’un classique tout en respectant l’intelligence du texte. Pour Faucher, tout ce que Corneille a écrit sur le conflit entre les générations et les méandres du discours amoureux semblent ici sans véritables conséquences. Que des paroles, et encore des paroles… finalement.

Jusqu’au 4 décembre
Au Théâtre Denise-Pelletier
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