

Exécuteur 14 : Cible mouvante
À la fois dense et poétique, la première pièce d’Adel Hakim, qui a vécu au Liban avant de s’établir à Paris, «propose la topographie mentale» d’un individu quelconque marqué par une guerre civile et religieuse.
Luc Boulanger
Photo : Yves Dubé
«Pardonner, oui. Oublier, jamais», disent parfois les juifs à propos de la sombre page de l’histoire que représentent l’Holocauste et la Seconde Guerre mondiale. C’est un peu le message du dramaturge parisien Adel Hakim, avec son texte Exécuteur 14, qui fait actuellement l’objet d’une production québécoise par le Théâtre Décalage à l’Usine C, jusqu’au 4 décembre.
À la fois dense et poétique, la première pièce de cet auteur d’origine égyptienne, qui a vécu au Liban avant de s’établir à Paris (où il dirige le Théâtre des Quartiers d’Ivry), «propose la topographie mentale» d’un individu quelconque marqué par une guerre civile et religieuse. Un homme qui «n’était pas cruel quand il était petit. Les grenouilles, lance l’unique personnage en entrant en scène, je ne leur coupais pas les pattes arrière avec des cailloux».
Au milieu d’une ville en ruine qui pourrait bien être Beyrouth, Sbrenica ou Pristina (beau décor de décombres et de terre de Robin Paterson), un homme expose les horreurs d’un conflit fratricide durant lequel la vie a perdu toute valeur. L’horreur ultime étant le meurtre d’un bébé de neuf mois, par un exécuteur portant le numéro 14 tatoué sur un bras.
Ce conflit meurtrier et anonyme (les deux clans sont définis par des noms fictifs: les Adamites et les Zélites) évoque toutes les guerres: de gangs ou d’ethnies, de religions ou de nations, civiles ou mondiales. En montrant la lente mais inévitable déshumanisation de l’homme par la guerre – la victime se métamorphose en bourreau à la fin de la pièce -, Hakim nous rappelle ce sombre constat: l’homme peut être un loup pour l’homme.
Oscillant sans cesse entre raison et confusion, le personnage d’Exécuteur 14 dévoile surtout la terreur psychologique; les traces indélébiles laissées sur un individu coincé dans l’implacable logique de la guerre qui transforme l’humain en «machine à tuer».
Malheureusement, le comédien qui défend ce spectacle solo a été très mal dirigé. Peter Batakliev n’arrive pas à toucher le public avec ce monologue pourtant déchirant.
Batakliev (un acteur d’origine bulgare sacré révélation de l’année 98-99 par la critique anglo-montréalaise pour son interprétation de Lucky, dans Waiting for Godot au Centaur) a certes les meilleures intentions du monde. Mais son jeu timide, cérébral, très froid et sans aucune émotion ne dégage pas la terreur véhiculée par le propos de Hakim. Qui plus est, l’accent slave du comédien n’aide pas non plus à l’intelligibilité du texte. Et le recours, par moments, à l’anglais et au russe ne se justifie guère.
Mis en scène par Batakliev lui-même et par Léo Arguëllo, Exécuteur 14 est un spectacle lourd qui ne décolle pas vraiment. En entrevue de promotion, les concepteurs ont affirmé avoir créé «un quatrième mur» pour que le public observe le personnage «comme sous un microscope». C’est peut-être là un mauvais choix de mise en scène qui empêche une bonne partie du public d’embarquer. Et cette pièce d’une actualité évidente, qui aurait pu me prendre aux tripes, m ‘est apparue comme un drame lointain et inaccessible.
Jusqu’au 4 décembre
Au Studio de l’Usine C
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