Henri Bricole : Bois d'oeuvre
Scène

Henri Bricole : Bois d’oeuvre

Pour les besoins de sa toute première création théâtrale, le poète Christian Vézina a transformé l’Espace Libre en atelier d’ébéniste jonché d’outils. On est pourtant bel et bien dans l’univers poético-bizarre d’Henri Michaux, grand bricoleur de la langue française.

Pour les besoins de sa toute première création théâtrale, le poète Christian Vézina a transformé l’Espace Libre en atelier d’ébéniste jonché d’outils, de copeaux et de deux par quatre. L’impression de prendre place dans une véritable shop se dissipe toutefois quand Henri (Christian Vézina) fait son entrée, vêtu d’une queue-de-pie, avec à la main des palmes de plongeur auxquelles sont greffées des cymbales. Les tintements de ce drôle d’instrument ponctuent un prologue aux accents surréalistes. Pas de doute, on est bel et bien dans l’univers poético-bizarre d’Henri Michaux, grand bricoleur de la langue française.

Henri a une spécialité: la patère. Dans l’atelier de cet artisan trônent sept créations de bois, dont une épatante patère-de-Noël aux allures de sapin. D’une timidité attendrissante, le dévoué bricoleur entreprend d’expliquer les subtilités de son art. Mais il vient à peine d’aborder le premier point de son programme qu’une spectatrice hardie (Diane Dubeau) l’interrompt. Grâce à son charme et à sa ténacité, Madame B. devient l’assistante improvisée du farouche menuisier, qui s’en serait visiblement passé. Surnommée «Miss Banjo au coeur de grenouille», la chic Britannique extravertie, vêtue de velours et coiffée d’un bibi, déborde de fantaisie, tout comme Henri. Tout en sciant, ponçant et clouant, ils se livrent à de petits bijoux d’échanges. Le patenteux de patères confie, entre autres, à Miss B. qu’il élève avec amour, dans une chambre à coucher à peine plus grande qu’un lit, un petit cheval qu’il soupçonne de n’être, en fait, pas un cheval du tout. Du bonbon pour les amateurs d’humour absurde.

Si le duo-duel que forment cet Henri naïf, ermite sur les bords, et la volubile Miss B. fait des étincelles, c’est en grande partie grâce à la qualité de la prose d’Henri Michaux. Ce Belge, né à l’aube du 20e siècle et décédé quatre-vingt-quatre ans plus tard, était un angoissé doté d’une bonne dose d’humour noir. En théâtralisant ses écrits, Christian Vézina a bâti une courte pièce ludique, étonnamment homogène, sans temps morts. Michaux s’amusait à trafiquer les mots avec un grand sens de la dérision; Vézina leur offre un écrin de choix avec l’atelier qu’il a conçu en collaboration avec le scénographe Jean Bard.

Le poète incarne d’une manière crédible un mésadapté hypersensible qui a l’extravagance d’une créature romanesque mais qui cache, sous sa carapace, un coeur blessé. Henri n’est pas fait de bois et succombera même au charme de sa nouvelle assistante… Habitué des récitals de poésie dépouillés, Vézina prouve, avec ce show original et bourré d’éclairs d’humour, que l’imagination peut pallier le manque de moyens. Ainsi, avec lui, une simple description d’outils – «sympathique marteau qui ne connaît que les allers-retours» – peut se transformer en chef-d’oeuvre de drôlerie. De son côté, Diane Dubeau donne à sa Miss B. aux émotions à fleur de peau une extravagance rafraîchissante. Son accent british trop prononcé alourdit toutefois bien inutilement certaines répliques…

Ovni théâtral qui allie la poésie à l’ébénisterie et l’humour absurde à la critique sociale, Henri Bricole est un petit show inventif, irrévérencieux et rigolo. De l’artisanat textuel ingénieux, fait sur mesure pour ceux qui ont envie d’une oeuvre atypique bricolée avec soin…

Jusqu’au 11 décembre
À l’Espace Libre
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