Dacia Maraini : Identification d’une femme
La semaine dernière, dans le cadre de la production de Marie Stuart, le TNM a reçu la dramaturge Dacia Maraini, comme il se doit: en star. En l’espace de 72 heures, elle s’est transformée de parfaite inconnue en personnalité médiatique québécoise!
La semaine dernière, dans le cadre de la production montréalaise de Marie Stuart, le TNM a reçu la dramaturge italienne Dacia Maraini, comme il se doit: en star. Point de presse dans le hall du TNM, entrevues avec des journalistes de médias écrits et électroniques, rencontres avec des gens du milieu…
En l’espace de 72 heures, madame Maraini s’est transformée de parfaite inconnue en personnalité médiatique québécoise! Il ne s’agit pas seulement d’une ruse du grand manitou des relations de presse du TNM. Cette auteure jouit d’une certaine notoriété en Italie dans le milieu du théâtre et des lettres. Jugez par vous-même.
Depuis le début des années 60, Dacia Maraini – qui fut la compagne du romancier Alberto Moravia – a écrit de nombreuses pièces de théâtre, des essais, des recueils de poésie et de nouvelles. Ces romans ont été couronnés de prix et traduits en plusieurs langues. En France, mentionnons les publications d’Histoire de Piera (porté à l’écran au cinéma par Marco Ferreri); La Vie silencieuse; Voix; et, incessamment son recueil de nouvelles, Buio, qui a remporté le prestigieux prix Premio Strega (l’équivalent du Gongourt en Italie), devrait être traduit en français.
Fondatrice du Teatro del Porcospino dans les années 60, et du théâtre expérimental féministe La Maddalena à Rome, en 1973, Maraini a également signé plusieurs mises en scène. Sa pièce Manifesto a été jouée au Provincetown Playhouse aux États-Unis. Quant à Marie Stuart (voir critique page précédente), elle a été traduite en allemand, en anglais, en espagnol, en japonais et, finalement, en français.
L’auteure a aussi écrit plusieurs scénarios pour des cinéastes européens tels que Pier Paolo Pasolini, Margarethe Von Trotta et Ferreri.
Préoccupée par la place de la femme dans l’Histoire et les grands mythes féminins, l’écrivaine s’est inspirée de grands personnages de femmes: de Clytemnestre à Emma Bovary en passant, bien sûr, par Marie Stuart et Élisabeth 1re.
L’auteure de Marie Stuart croit au pouvoir des mots. «Plus on travaille sur les mots, plus on comprend qu’ils sont mystérieux», expliquait Dacia Maraini à Voir, vendredi dernier, dans le hall d’un hôtel du centre-ville. Ses propres mots ont d’ailleurs fait l’objet de plusieurs interprétations parmi les nombreuses productions de ses pièces dans le monde. Dacia Maraini a vu huit différentes versions de Marie Stuart (sur une vingtaine), et celle à l’affiche du TNM est «parmi les meilleures», estime-t-elle. L’auteure a été frappée par le côté «violent et radical» de la proposition de Brigitte Haentjens qui tranche sur le ton intimiste des autres spectacles.»
«Le présent est illuminé par le passé, croit-elle. La compréhension du premier passe nécessairement par le second. Dans notre culture, poursuit-elle, les femmes ont été poussées à s’exprimer à travers le corps. Pour une femme, le corps est son destin. Elle s’identifie et est identifiée à son corps. D’où la difficulté de notre culture à prendre au sérieux la parole et la pensée des femmes.»
Il y a aussi l’organisation sociale qui désavantage les femmes. «Le travail, tel qu’il est conçu aujourd’hui, est bâti à partir du temps d’un homme, dit-elle. J’ai visité le Parlement suédois à Stockholm, où plus de trente pour cent des députés sont des femmes. Ce qui est énorme. Outre une garderie sur place, les sessions parlementaires sont conçues afin de permettre aux députés de consacrer du temps à leurs enfants.»
Pasolini et moi
Dans les années 60 et 70, avec Moravia, Dacia Maraini a effectué plusieurs grands voyages en Afrique avec le cinéaste, écrivain et intellectuel italien Pier Paolo Pasolini. À l’époque, ce dernier tournait beaucoup dans ce continent. Elle se rappelle de lui comme d’un homme très doux et silencieux. «Mais il n’était pas absent, il avait une présence silencieuse.»
«Il avait aussi un caractère tragique, dit-elle. C’est connu, il aimait prendre des risques. Mais je ne crois pas que Pasolini soit allé au devant de sa propre mort, comme certains l’ont dit. Je me souviens qu’il préparait un tas de projets lorsqu’il s’est fait tuer en 1975. C’était un homme rongé par d’énormes contradictions: moraliste et homosexuel; catholique et communiste…Comme beaucoup de ses contemporains, ce poète était déchiré par la culpabilité.
«Sa mort violente a laissé un grand vide dans l’intelligentsia italienne. Depuis, l’atmosphère a bien changé en Italie. Les artistes sont moins présents sur la place publique. Vingt-cinq ans après sa mort, Pasolini n’a toujours pas été remplacé.»