Marie Stuart : Masculin féminin
Scène

Marie Stuart : Masculin féminin

Avec Marie Stuart, Brigitte Haentjens signe une superbe production d’une pièce dense et et loquace au TNM. En prime, une grande performance de la comédienne Anne-Marie Cadieux.

Brigitte Haentjens croit profondément au pouvoir du théâtre. Au Québec, de tous les hommes et femmes qui vivent de ce métier, cette metteure en scène est une de celles qui défendent le mieux le côté sacré de cet art. On pourrait dire que Haentjens fait du théâtre comme d’autres entrent en religion: avec beaucoup de foi et de conviction.
Sa mise en scène de Marie Stuart, qu’elle vient de signer pour le Théâtre du Nouveau Monde, en est un bel exemple. Cette superbe production, à l’affiche jusqu’au 13 janvier, illustre à quel point cette artiste croit en la force du théâtre à une époque où plusieurs s’interrogent sur sa pertinence.

Avec seulement deux actrices (la grande Anne-Marie Cadieux et la fougueuse Pascale Montpetit) et une équipe de concepteurs ayant fait un travail exceptionnel (les costumes de Julie Charland et le décor d’Anick La Bissonnière sont remarquables), Brigitte Haentjens offre l’une des meilleures propositions «artistiques» présentées au TNM, depuis Le Temps et la Chambre de Botho Strauss, dirigée par Serge Denoncourt, en janvier 1993.

Marie Stuart, c’est le drame romantique allemand de Schiller revu par la dramaturge italienne Dacia Maraini (voir entrevue ci-jointe). Cette dernière a revisité l’œuvre historique et écrit une pièce contemporaine dans laquelle on retrouve des problématiques féminines pour ne pas dire féministes: la place des femmes dans l’Histoire; leur rapport avec le pouvoir et l’amour, la difficulté de concilier travail et maternité, la dualité raison / passion, etc.

Malgré le battage médiatique autour de la parole féminine «révolutionnaire» de cette grande auteure, les thèmes prisés par Dacia Maraini ne sont finalement pas très nouveaux. La parole «féministe» de Maraini est victime du manque de limpidité d’un texte dense et verbeux qui s’éparpille parfois, et abuse des ruptures de ton.

Qu’importe, l’œuvre demeure forte, intelligente et signifiante. Depuis que la dramaturge a livré Marie Stuart, en 1979, le merveilleux monde du pouvoir a peu évolué. Et le TNM n’a pas produit de textes écrits par une femme depuis La Passion de Juliette, de Michelle Allen, en 1984!!! Il était donc temps.

La pièce traduite efficacement par Marie José Thériault met donc en scène deux légendaires figures de l’histoire occidentale: Marie Stuart, reine catholique d’Écosse; et Élisabeth, reine protestante d’Angleterre. Par-delà les caractères antagonistes de ces femmes ou les conflits politiques et religieux de l’époque, deux conceptions opposées de l’amour et de la maternité sont au centre de l’œuvre: Élisabeth se fera une fierté de rester vierge car «aimer, c’est consentir à sa propre sujétion»; alors que Marie Stuart sera dominée par ses passions amoureuses car «Dieu veut l’abandon de soi».

Cette opposition est renforcée par le jeu de rôles que se livrent les deux comédiennes dans une mise en scène qui laisse toute la place à leurs talents. Il y a toujours une reine et sa suivante sur scène. Chaque comédienne joue, tour à tour, l’une et l’autre (Cadieux fait Élisabeth puis la suivante de Marie Stuart; Montpetit incarne Stuart et ensuite la suivante d’Élisabeth). Dans cet exercice terriblement exigeant pour des interprètes, Anne-Marie Cadieux impressionne du début à la fin. Solide et autoritaire en Élisabeth, fragile et émouvante en suivante, madame Cadieux livre l’une des plus belles preformances d’actrices que j’aie pu voir à Montréal ou ailleurs. De son côté Pascale Montpetit, bien qu’excellente, manquait un peu d’autorité en Stuart, le soir de la première, pour nous convaincre entièrement. Voilà le seul bémol, à ces deux prestations qui méritent l’admiration.

Sur la scène du TNM, les deux souveraines deviennent des poupées mécaniques prises dans l’engrenage du Temps et de l’Histoire; des femmes automates condamnées par la société des hommes à se déposséder d’une partie d’elles-mêmes – si précieuse – qu’on nomme la féminité.

\\«La vitalité sexuelle, considérée chez les hommes de pouvoir comme un signe de santé et de maîtrise, est-elle pour des femmes à des postes équivalents un signe de faiblesse??» se demande, entre autres, Brigitte Haentjens, dans le programme du TNM. En faisant une lecture expressionniste et radicale de l’œuvre de Maraini, la metteure en scène offre une réponse claire. Les valeurs féminines se conjuguent mal avec le pouvoir. Quatre siècles après la décapitation de Marie Stuart, la féminité dérange toujours l’ordre des choses.

Dans la pièce, Marie Stuart soutient que les «liens entre les femmes sont, de tous les liens, les plus tenaces et les plus durables?». Cela peut sembler ironique. Car pour avoir eu trop de cœur, la reine d’Écosse devra en payer de sa tête. Sa cousine Élisabeth la condamnera à être décapitée… (Mémorable scène finale où la suivante décrit l’exécution de sa reine.)

L’Histoire a amputé les femmes d’une partie d’elles-mêmes et, du coup, d’une partie de nous tous. Le monde d’aujourd’hui serait-il meilleur s’il était dirigé par un gouvernement féminin? Si personne ne possède de réponse, il demeure sain de se poser la question.

Jusqu’au 13 janvier 2000
Au TNM
Voir calendirer Théâtre