Scène

Tsuru : La cérémonie des adieux

Pour saluer la fin de l’année, voici un très beau spectacle sur l’art de dire adieu. Savoir laisser partir ou laisser mourir, c’est là sans doute le plus ardu, et le plus noble, des apprentissages humains. Cette sagesse sublime dépasse les enfants, croyez-vous?

Pour saluer la fin de l’année, voici un très beau spectacle sur l’art de dire adieu. Savoir laisser partir ou laisser mourir, c’est là sans doute le plus ardu, et le plus noble, des apprentissages humains. Cette sagesse sublime dépasse les enfants, croyez-vous? Pas le moins du monde: il suffit d’un oiseau symbolisant l’immortalité, du jeu de deux enfants combattant un dragon invisible… et l’allégorie fait son oeuvre. Elle parlera de maladie et de mort, de départ et de mémoire, comme on le ferait de la vie. Avec Tsuru (grue de papier et samouraï de paille), Anne-Marie Théroux entraîne doucement le public, grands et petits confondus, dans un sentier balisé d’émotions chavirantes, mais belles aussi lorsqu’elles sont pleinement assumées.

D’inspiration orientale, la fable est racontée par Ogi (Yves Simard) à sa petite fille (Katia Gagné). Chaque année, lui explique-t-il, il dépose sur la rivière une lanterne de papier en forme de grue, à la mémoire de son ami d’enfance, Nao (Robert Drouin). L’histoire de leur amitié, c’est aussi celle de la petite grue Tsuru, adoptée par Nao jusqu’à ce qu’elle puisse voler. En parallèle se préparent le départ de Nao, enlevé par la mort, et celui de Tsuru, enlevée par la vie, car elle est appelée bientôt à rejoindre les siens. Ainsi, tandis que Nao doit laisser partir Tsuru, Ogi doit accepter la mort de son ami.

Basé sur un texte économe et, il est important de le préciser, plutôt joyeux que chagrin, le spectacle se révèle d’une séduisante poésie visuelle. Outre les panneaux blancs et la plateforme carrée de l’aire de jeu, Anick La Bissonnière utilise les motifs japonais avec invention pour évoquer, par exemple, la rivière aux longues herbes, les fleurs à la corolle d’ombrelle, l’automne aux feuilles rouges tourbillonnantes ou la pluie torrentielle. Dans ce décor, les éclairages de Sylvain Letendre viennent faire jouer des ombres ou dramatiser des scènes, appuyés par la musique de Stephen Poulin.

Produit par Carbone 14, Tsuru est le fruit d’une collaboration de ses interprètes permanents, Yves Simard et Katia Gagné, avec des membres du Théâtre en l’Air, Robert Drouin et Anne-Marie Théroux, qui signe le texte et la mise en scène. Pour manipuler les marionnettes représentant la grue à différents âges, Patricia Bergeron, qui travaille notamment au Théâtre de la Dame de Coeur, s’est jointe à Katia Gagné. Ces artistes forment un ensemble parfaitement harmonieux, et chacune manie la marionnette avec une élégance, un naturel évidents.

On comprendra alors que la palme du spectacle aille à Tsuru, dont les marionnettes, grand oiseau haut sur pattes ou simple tête manipulée à la main, ont été conçues par Marie-Pierre Simard. Lorsque le volatile sort de sa coquille, avec sa vilaine tête ébouriffée de jeune oisillon, le public s’y attache aussitôt. Les manipulatrices lui confèrent une véritable personnalité: on la voit grandir, s’affirmer, puis déployer ses ailes quand, devenue une majestueuse grue adulte, elle part avec ses semblables. Cette sympathique bête est si «vivante» qu’on s’étonne, et regrette, qu’elle ne vienne pas saluer à la fin. Parions qu’elle récolterait bien des bravos!

Jusqu’au 9 janvier
À l’Usine C
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