Maude Guérin : Le coeur découvert
Scène

Maude Guérin : Le coeur découvert

Le Théâtre d’Aujourd’hui entame l’année avec Jacynthe, de Laval, une pièce de René Gingras qui offre un rôle en or à une comédienne de premier plan: MAUDE GUÉRIN.

«Je l’aime assez cette femme-là… Dis-le dans ton article. C’est rare qu’un acteur comprend tout de suite les indications d’un metteur en scène, et peut les rendre sur-le-champ. Elle est extraordinaire!» Pour la première fois de sa vie, Yves Desgagnés a ouvert la porte de la salle de répétition à un journaliste… pour lui montrer ce prodige nommé Maude Guérin.

Au théâtre, la Johanne de Motel Hélène, la Marilyn Monroe d’Après la chute, est une actrice solide et entière. Des metteurs en scène exigeants, comme René Richard Cyr ou Claude Poissant, se l’arrachent depuis longtemps. L’an 2000 sera une année importante dans sa carrière. En avril, chez Duceppe, Maude Guérin va jouer Maggie, dans La Chatte sur un toit brûlant de Tennessee Williams; un personnage sulfureux immortalisé au cinéma par une certaine… Elizabeth Taylor.

Mais d’abord, dès le 12 janvier, la comédienne va défendre un rôle explosif dans la nouvelle pièce de René Gingras, Jacynthe, de Laval, au Théâtre d’Aujourd’hui. Elle joue le rôle-titre aux côtés de Didier Lucien et Patrice Coquereau. Martin Ferland aux décors, Judy Jonker aux costumes, Claude Lemelin à la régie et à la trame sonore, et Claude Accolas aux éclairages complètent l’équipe de création.

Avant les Fêtes, Maude Guérin a passé plus de temps avec le metteur en scène qu’avec son chum, ses amis et tout son entourage réunis. Plus d’un mois avant la création, elle connaissait déjà par coeur son texte. Seule dans la salle de répétition avec Yves Desgagnés, elle travaillait chaque réplique jusque dans ses moindres détails. Un silence, une intonation, un geste… Tout est passé au peigne fin. Bien que la pièce repose presque entièrement sur ses épaules, Maude Guérin ne laisse paraître aucun signe de nervosité…

«J’adore répéter», dira la comédienne plus tard pour expliquer son sang-froid. «Contrairement à d’autres actrices qui ne vivent que pour la première et les représentations, je préfère les répétitions. Ça se passe entre le texte, le metteur en scène et les interprètes. On peut tout faire avec rien. Bien sûr, je suis excitée quand j’arrive au théâtre, avec le décor, les costumes et les éclairages. Bien sûr, je suis contente quand je joue devant un public. Mais, en même temps, ça me fait terriblement peur…

«Alors qu’en répétition, au contraire, je ne crains rien. Je me fous de me tromper. Je peux essayer quelque chose de vaseux, de dangereux, ou de complètement ridicule. Avec Yves, surtout, je n’ai aucune pudeur! Je me sens en sécurité, car lui aussi fonctionne comme moi: il n’a pas peur d’essayer des choses ni de changer d’idée. Je ne pourrais pas être dirigée par un metteur en scène qui sait d’avance tout ce qu’il veut en commençant à travailler sur une pièce.»

Femme au bord de la crise de nerfs
Bardée d’explosifs et accompagnée d’un prisonnier évadé (Didier Lucien), Jacynthe fait irruption dans un studio de télé. Cette femme menace de tout faire sauter si on ne lui donne pas du temps d’antenne. Elle veut parler aux téléspectateurs de tout et de rien: de son mari météorologue (Patrice Coquereau), de la douceur, de la violence, du chaos universel, et de la douleur de n’être que… Jacynthe, une travailleuse sociale, de Laval.

Que désire-t-elle vraiment? «Jacynthe Lelièvre parle de tout, sauf des vraies raisons qui ont motivé son geste, explique son interprète. Les revendications pour les détenus sont un prétexte. Elle est dans ce studio-là pour parler d’elle, de son angoisse, de son identité. Pourquoi est-elle sur Terre? Est-ce que son travail, son mariage, son existence signifient quelque chose? Est-ce que son passage sur cette planète va faire une différence; une toute petite différence… quelque part? En deux mots, cette femme troublée cherche un sens à sa vie.»

Comme la plupart des personnages des pièces de René Gingras, d’ailleurs. Après Syncope, en 1983, et La Compagnie des animaux, en 1990, Jacynthe, de Laval est la troisième collaboration entre Yves Desgagnés et cet auteur un peu en retrait dans la dernière décennie. Et la première production d’un de ses textes depuis dix ans!

Tragi-comédie des terreurs intimes et des désirs enfouis dans le secret de nos âmes, le théâtre de René Gingras donne souvent la parole à des gens à la recherche de reconnaissance. Tout le monde veut son petit 15 minutes de gloire, disait Andy Warhol. C’est peut-être ce qui pousse Jacynthe Lelièvre à vouloir tout faire sauter… Comme bien des femmes et des hommes, elle voudrait être une héroïne. Elle aimerait que son chum descende dans la rue pour lui crier son amour. Elle rêve de quelque chose de grandiose pour conjurer l’absurdité de son existence.

Sens dessus dessous
Les personnages de René Gingras ressemblent, en quelque part, à ceux de Samuel Beckett. À l’instar de Winnie, Jacynthe a la nostalgie de ses beaux jours. Elle s’accroche aussi à de pitoyables désirs (elle ne squatte pas pour rien le studio d’un quiz intitulé La Bonne Étoile). En marge de sa pièce, l’auteur avertit les concepteurs «d’avoir une bonne pensée» pour le dramaturge d’En attendant Godot. «Un Beckett prolixe et luxuriant», dit-il à propos de Jacynthe, de Laval.

Si la vie n’a pas de sens, est-ce que Jacynthe ne fait pas tout ça pour rien? «On s’est trompé sur les Absurdes, dit Yves Desgagnés. Beckett n’a jamais affirmé que la vie n’a pas de sens. Il disait que le monde n’a "peut-être" pas de sens. C’est le peut-être qui est important.»

«Jacynthe est un personnage ordinaire qui désire un destin extraordinaire. Mais n’est-ce pas le lot de tous, poursuit Maude Guérin. Au théâtre, j’essaie toujours d’aller chercher la vérité. À l’école, j’ai étudié de grands personnages (Phèdre, Oenone ou Lady Macbeth), et je m’arrangeais toujours pour les amener le plus près de moi. Je voulais trouver ce qui est profondément humain à l’intérieur de ces mythes. Phèdre aussi a des préoccupations qui ressemblent aux nôtres: le besoin d’aimer, la peur de la mort, etc.»

Originaire de La Tuque, Maude Guérin a commencé à lire du théâtre avant d’en voir. Jeune, un de ses bons amis d’alors (et de maintenant), le dramaturge Jean-François Caron, lui a fait lire beaucoup d’auteurs québécois. «Pour moi, le point de départ, c’est le texte. Si c’est bien écrit, tout est là. Je suis une amoureuse des textes. Et là, avec René Gingras, je me considère gâtée car il joue magnifiquement avec les mots. Sa pièce est lyrique, poétique. Mais la difficulté, c’est que, sur scène, je ne dois pas me laisser emporter par ce lyrisme.»

Une des grandes qualités de Maude Guérin, c’est qu’elle s’abandonne complètement aux émotions d’un personnage. Elle va jusqu’au bout des choses. «Si je sens que je me retiens dans un rôle, je deviens insécure. Je n’ai pas de technique précise pour arriver à une émotion. Je suis très instinctive. À la première lecture, je perçois déjà des tons, des couleurs, qui me parlent de l’intériorité du personnage.

«Un comédien m’a déjà conseillé d’économiser mes forces, se rappelle Maude Guérin. "Tu en ferais la moitié, que ça passerait pareil", m’avait-il dit! Je ne comprenais pas. Mon but, ce n’est pas d’exagérer les sentiments d’un personnage. Je n’aime pas me complaire dans l’émotion. Mais ce que je vis sur scène, ç’a besoin d’être réel.»

Curieusement, dans la vie, la comédienne avoue être très pudique. «Je ne livre pas mes sentiments facilement. Par exemple, c’est très rare que je vais pleurer devant des amis ou des collègues. Je suis plus réservée dans la vie qu’au théâtre. C’est épeurant, car j’ai parfois l’impression que je vis plus sur la scène que dans la vie…» (rires)

Du 12 janvier au 5 février
Au Théâtre d’Aujourd’hui
Voir calendrier Théâtre
En tournée à Ottawa du 9 au 12 février
Au Théâtre français du Centre national des arts