Jacynthe, de Laval : Étoile filante
Scène

Jacynthe, de Laval : Étoile filante

L’héroïne de Jacynthe, de Laval, aspirant à plus grand qu’elle, prend tous les moyens pour faire savoir à l’univers qu’elle existe. Il faut dire que la protagoniste de la pièce de René Gingras a le malheur d’habiter Laval, un mot qui semble symboliser toute la banalité de sa petite existence, l’insignifiance de sa destinée…

On n’y échappe pas: la crise identitaire hante toujours l’imaginaire. Pendant qu’au grand écran Tom Ripley commet l’impardonnable parce qu’il «préfère être un faux quelqu’un plutôt qu’un vrai nobody», et que les ploucs inconnus font la file pour envahir la tête célèbre de John Malkovich, sur scène, l’héroïne de Jacynthe, de Laval, aspirant à plus grand qu’elle, prend tous les moyens pour faire savoir à l’univers qu’elle existe.

Il faut dire que la protagoniste de la pièce de René Gingras a le malheur d’habiter Laval, un mot qui semble symboliser toute la banalité de sa petite existence, l’insignifiance de sa destinée… La travailleuse sociale débarque donc dans un studio de télévision déserté, le corps ceint d’explosifs, en compagnie d’un évadé de prison très agité, dont elle prétend vouloir exposer les revendications. Mais, trop heureuse d’être sous les feux des projecteurs, Jacynthe en profite bientôt pour débiter ses propres insatisfactions. Aura-t-elle fait une petite différence dans l’univers, laissé une trace?…

Absent des scènes depuis dix ans, René Gingras fait une rentrée plutôt décevante avec cette pièce inégale, mise en scène par son vieux complice Yves Desgagnés. Malgré son lot de bons mots, un sens parfois inspiré de l’absurde, et son thème universel (on se sent tous à l’étroit, un jour ou l’autre, dans la banalité de notre quotidien), la pièce est loin d’accéder à l’univers beckettien, auquel l’auteur de Syncope se réfère.

On la croirait pathétique; Jacynthe paraît au contraire très en contrôle, comme détachée d’elle-même. Et le langage précieux, fait de petites rimes et de grands mots, dans lequel elle s’empêtre semble trop grand pour elle. Un langage artificiel de spécialiste qui semble vouloir tenir la réalité – et les émotions – à distance. La complainte pleine de trous et d’hésitations de Zachary (Didier Lucien), qui tente de compenser par des gesticulations les mots dont il est à court, est autrement touchante que la logorrhée narcissique de Jacynthe, dont nous sommes otages.

En opposant les faux problèmes de Jacynthe et le vrai drame de Zachary, un Noir violé à répétition dans une prison américaine, le texte aboutit parfois à des contrastes amusants. Mais il met surtout cruellement en exergue la petitesse même du trouble existentiel de Jacynthe. Un sale coup à faire à un personnage qui se plaint justement de la mesquinerie de sa condition. Difficile, alors, d’éprouver de l’empathie, comme si Jacynthe restait uniquement un objet de satire. D’autant que Maude Guérin en fait des tonnes. Cette comédienne douée, et généralement émouvante, joue tous effets dehors, projetant avec force éclats le discours de ce personnage qui prend beaucoup de temps à révéler une quelconque intériorité. Par contre, Patrice Coquereau se révèle très juste, l’image même de l’homme défait et insignifiant, dans le rôle ingrat du mari, un rédacteur de bulletins météorologiques terne comme la pluie.

En fait de mal identitaire, cette étrange pièce joue beaucoup sur les ruptures de ton, qui s’aventure dans la comédie incertaine, puis bifurque quasiment vers le drame, avant de faire demi-tour et de foncer tout droit dans l’absurde, qui est peut-être la couleur qui lui convient le mieux.

Il faut attendre à la finale, touchante et teintée d’un brin de fantastique, pour que le blues de la banlieusarde rejoigne enfin notre vertige devant le vide de l’existence. Petit grain de sable qui, comme nous tous, rêve d’être une étoile filante.

Jusqu’au 12 février
Au Théâtre d’Aujourd’hui
Voir calendrier Théâtre