Alexis Martin : L’histoire sans fin
Tricoteur scénique d’histoires, Alexis Martin baigne ces temps-ci dans l’Histoire. La Grande. Il a écrit à quatre mains, avec Jean-Pierre Ronfard, ce qui s’annonce pour le Nouveau Théâtre expérimental comme le prologue d’une vaste réflexion sur l’histoire: Transit – section no 20.
Tricoteur scénique d’histoires, Alexis Martin baigne ces temps-ci dans l’Histoire. La Grande. L’auteur et metteur en scène – à qui a été confiée la tâche, assez homérique merci, d’adapter L’Odyssée, celle d’Ulysse, cet exilé de sa propre histoire – a écrit à quatre mains, avec Jean-Pierre Ronfard, ce qui s’annonce pour le Nouveau Théâtre expérimental comme le prologue d’une vaste réflexion sur l’histoire. Transit – section no 20 sera créée le 1er février. Point de rencontre entre l’éphémère (le théâtre) et l’historique…
«On va faire notre rétrospective du XXe siècle à nous, dans un esprit un peu baveux, résume Alexis Martin. On veut questionner l’histoire, comment elle se fabrique. Au fond, on ne sait pas à quoi sert l’enseignement de l’histoire. Le cliché veut qu’en apprenant l’histoire, on apprenne à mieux vivre, à ne pas répéter les erreurs de nos ancêtres. Mais on s’aperçoit que ce n’est pas vrai: l’information circule de plus en plus, mais les erreurs se répètent, les massacres continuent. Pourtant, les gens n’ont jamais été autant à l’école. Alors, à quoi sert l’histoire? On ne peut pas répondre à ça.»
Trop de mémoire pourrait même desservir l’humanité, certaines guerres s’appuyant sur des litiges remontant à des siècles. «C’est comme si nous, au Québec, on revenait constamment aux Plaines d’Abraham… Le spectacle s’ouvre avec un monologue de Nietzsche, qui dit que l’histoire est utile seulement si elle sert la vie. Or, elle a souvent été un élément déclencheur de massacres et de règlements de comptes. Selon le philosophe, une civilisation insomniaque, c’est-à-dire trop en proie à sa mémoire, ne peut pas survivre. Ça prend une dose d’oubli.»
Jouée par six comédiens (dont Martine Beaulne et Daniel Brière), la pièce convoque quelques illustres figures, mais aussi une foule d’anonymes et… Marie Cardinal (le personnage), interrogée sur la place des femmes dans l’histoire. À travers leurs recherches et lectures, Martin et Ronfard ont bien sûr constaté que celle-ci s’écrit surtout au masculin. «C’est une question intéressante pour l’avenir: est-ce que ça va changer? L’histoire qui reste dans la tête des gens, c’est la monumentale, celle dont souvent les femmes sont absentes. Alors qu’il y a une histoire féminine parallèle, qui ne s’écrit pas en termes de batailles gagnées ou de traités signés, mais d’enfants, de soins, de survivance. Ce n’est pas glorieux. Mais c’est la substance de la vie.»
Le questionnement sur le théâtre n’étant jamais bien loin au NTE, les deux acolytes ont voulu miser sur un show très épuré, «à la mise en scène la moins accusée possible», s’éloignant des pièces chargées d’artifices ou d’éléments techniques qu’on voit fréquemment. Pour tout décor, on a choisi en un conteneur à rebuts. La poubelle de l’histoire, où, comme le titre l’indique, l’homme n’est qu’en transit… D’autant plus que l’histoire récente a tendu à chosifier les êtres humains, à les transformer en objets. «Autant chez les communistes que chez les nazis, les gens devenaient des corps jetables. Ce qui est particulier au XXe siècle, c’est qu’à cause de la technologie, les gens sont vite passés d’ennemis au rang de choses.»
Le spectacle offre volontiers un contrepoint un peu burlesque à ses sketchs plus didactiques. Un souci de théâtraliser, sans évacuer pourtant la lourde charge d’info que le thème exige par moments. Mieux: en l’assumant complètement. «On s’est rendu compte qu’on était bien ignorant par rapport à l’histoire. Il faut en parler, même si on n’a pas les références immédiates. Je trouve parfois qu’on est dans une culture où l’on essaie toujours d’avoir des dénominateurs communs. Alors, on appauvrit un peu. Leni Riefenstahl, c’est pas Elvis Presley. Mais il ne faut pas sous-estimer la soif de connaissance des gens.» Quitte à ce qu’ils aillent fouiller après…
Conscients d’avoir mis le pied dans un inépuisable et captivant champ de réflexion humaine, les directeurs du NTE ont eux-mêmes l’intention de continuer à creuser. «Ç’a a été une recherche très tripante – et frustrante: on a découvert tellement de thèmes intéressants», dit ce fils de journaliste (Louis Martin) curieux et lettré.
N’ayez crainte: avec, dans la manche d’Alexis Martin, un spectacle à thème historique dès l’automne prochain, et, peut-être, une expérience de Ronfard, on nous promet qu’il y aura une suite à l’histoire…
Du 1er au 19 février
À l’Espace libre
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