Le Désir de Gobi : Le choc du passé
Scène

Le Désir de Gobi : Le choc du passé

Avec Le Désir de Gobi, Pierre Bernard a signé une mise en scène possédant les qualités – et les défauts – de la sinueuse ligne artistique qu’il habilement tracée au cours de son mandat. La première pièce de Suzie Bastien est le déchirant cri du coeur de Nine, un personnage cruellement dépossédé de son  enfance.

On n’échappe pas à son enfance. On a beau essayer de l’oublier, de la corriger ou de la sublimer, elle revient toujours au détour comme pour narguer l’adulte qui se prend trop au sérieux.

Si je peux trouver un fil conducteur parmi la quarantaine de spectacles – assez éclectiques, merci – programmés par Pierre Bernard depuis 1988, ce serait celui-ci: il faut «préserver l’état d’enfance». Hosanna, Les Chaises, Aux hommes de bonne volonté, Les Années ou Traces d’étoiles sont autant de textes dramatiques qui illustrent la terrible solitude qui accompagne parfois le passage l’âge adulte.

Avec Le Désir de Gobi, l’ex-directeur du Théâtre de Quat’Sous a signé une mise en scène possédant les qualités – et les défauts – de cette sinueuse ligne artistique qu’il habilement tracée au cours de son mandat. Le Désir de Gobi, la première pièce de l’auteure Suzie Bastien, est le déchirant cri du coeur de Nine, un personnage cruellement dépossédé de son enfance et qui a soif d’absolu.

Au départ, cette histoire tient du sombre fait divers. Après la fuite de sa mère, à onze ans, Nine est séquestrée par son père dans une pièce. Portée disparue, elle passera un an dans la noirceur et la crasse. Jusqu’au jour où son père, surpris par les autorités, la libérera avant de se tirer une balle dans la tête! Ce récit sordide est raconté par un des psys de Nine. La pièce est donc comme un long flash-back au coeur du drame de Nine et de son vain combat pour vivre normalement sur cette planète.

Malgré ou à cause de son originalité (au théâtre, du moins), le texte de Suzie Bastien n’est pas un objet dramatique facile à mettre en scène. Avec sa langue hybride, ses débordements (de mots, de sens, de douleur), ses ruptures de ton et sa construction un peu bancale, cette pièce demande aux spectateurs d’adhérer rapidement au point de vue de Nine. Pour survivre, cette dernière se construit un monde imaginaire, quelque part dans le désert de Gobi, en Mongolie. Là-bas, avec son compagnon d’infortune Colas (Danny Gilmore), elle rêve de réinventer l’amour. Car, par-delà le sujet des enfants maltraités, la pièce de Bastien est surtout un appel à l’amour (qui prend aussi des allures de cri). Il atteint son point culminant lorsque Nine dévoile son terrible secret: son père lui a avoué, avant de l’enfermer, qu’elle était la personne «qu’il aimait le plus au monde»…

Ces mots ont sûrement résonné dans le coeur de Pierre Bernard. Un peu trop même, car il met de l’avant ce texte déjà très imposant dans un décor épuré de Danièle Lévesque. Comme s’il avait été incapable de prendre du recul par rapport à son sujet. Par exemple, toutes les scènes avec le psy (Raymond Legault, assez juste) sont jouées de façon très réaliste. Pourtant, elles auraient pu se parer de poésie ou de fantaisie et ainsi moins trancher avec l’univers de Nine et de Colas. Bien que nous soyons en présence de deux mondes aux antipodes (la raison et l’imaginaire), la pièce n’en aurait certainement pas souffert.

Par contre, sa direction d’acteurs est très sensible. Dans le cas de Dany Gilmore, très habité par son personnage, la résultat est probant. Si ce comédien m’est apparu un peu pâle dans les bottes de Roméo, au TNM l’an dernier, il est ici fort convaincant. Après un départ sur le fil du rasoir, Annick Bergeron, dans le rôle très exigeant de Nine, s’est ajustée par la suite. Elle parvient à bouleverser une bonne partie de la salle quand elle exhibe les blessures de son passé.

Finalement, Pierre Bernard signe une production émouvante pour qui aime ce genre de dramaturgie à coeur ouvert.

Jusqu’au 26 février
Au Théâtre de Quat’Sous
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