Les Bonnes : De bruit et de fureur
À tout faire, Les Bonnes? C’est à voir, même si la pièce de Jean Genet a déjà donné lieu à de multiples interprétations. En tout cas, il ne faut pas se fier aux premières notes imposées par la production de La Veillée…
À tout faire, Les Bonnes? C’est à voir, même si la pièce de Jean Genet a déjà donné lieu à de multiples interprétations. En tout cas, il ne faut pas se fier aux premières notes imposées par la production de La Veillée. En ouverture, les poses alanguies, empreintes d’ennui, de lassitude et de proximité charnelle, baignant dans une musique jazzée (signée Oles Protsidym), nous entraînent sur une fausse piste: la pièce mise en scène par Carmen Jolin se donnera plutôt dans le bruit et la fureur, à l’opposé du jeu «furtif» conseillé par Jean Genet dans son introduction au drame écrit en 1947.
Après cette introduction muette et suggestive (il y aura quelques autres scènes silencieuses durant la pièce), qui esquisse par courts flashs évocateurs une atmosphère cinématographique, les choses se gâtent plutôt. Carmen Jolin – il faut croire, si l’on retient contre elle sa première mise en scène, Mademoiselle Else, qu’elle aime bien flirter avec l’excès – pousse ses Bonnes dans la voie de l’outré. Or, les deux soeurs sont déjà de plain-pied dans la théâtralité, elles qui rejouent une cérémonie macabre pour exorciser leur révolte, se libérer d’une vie d’humiliation et d’impuissance. Soudé par la haine, la tendresse, la nécessité et l’habitude, ce duo infernal s’abîme dans un jeu de rôles et de miroirs, qui dénude leur solitude et leur renvoie, sous une loupe, une image brisée d’elles-mêmes et le reflet de leur honte.
Ici, rien d’allusif quand Solange et Claire jouent à singer Madame et sa suivante: Frédérique Collin et, surtout, Léa-Marie Cantin mordent dans chaque mot, avec des accents grandiloquents. Tout ça finit par assommer, malgré les efforts méritoires et énergiques des douées comédiennes, certes pas mauvaises, mais au jeu limité par ce style qui se croit obligé de souligner la révolte au marteau-pilon: les traits déformés, entre le larmoiement et les cris.
Avec sa silhouette longiligne et sa posture décontractée de mannequin, outrée jusqu’à la provocation (voir sa chemise qui ne voile rien), la juvénile Madame d’Annie Bienvenue est aussi différente que possible des deux bonnes vieillissantes, l’oeil hagard, la bouche tirée par un pli amer; défaites par la vie. Répandant autour d’elle un tourbillon de superficialité et des effluves de mondanité, Madame est servie: jeunesse, beauté, adulation. Fruits défendus aux deux bonnes en retrait du monde. Le contraste est cinglant, mais paraît simplifier les enjeux de la pièce, devenue davantage une tragédie de l’envie qu’une cérémonie exacerbant la prison intérieure de la révolte et du dégoût de soi.
On regrettera aussi que le jeu emporté mette rarement en valeur la langue d’une implacable clarté, tranchante comme un poignard, de l’auteur des Paravents. Dans certains monologues, seulement. Et dans la scène finale, on retrouve la lenteur chargée de ce rituel de mort.
Sinon, les cris et les hurlements se substituent plutôt au venin distillé finement, à doses contrôlées; la cérémonie secrète se mue en crêpage verbal de chignons. En portant à l’avant-plan la violence et la démesure de la confrontation des Bonnes, le spectacle évacue, paradoxalement, l’immense cruauté qui sous-tend son rituel.
Jusqu’au 12 février
Au Théâtre Prospero
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