Crime et Châtiment : Un homme et son péché
Scène

Crime et Châtiment : Un homme et son péché

Crime et Châtiment est un de ces monuments artistiques inépuisables, qu’on peut tourner et retourner sous plusieurs angles. Il ne faut sans doute pas se surprendre que la production de l’Absoluthéâtre mette de l’avant la dimension grotesque contenue dans le roman fondateur de Dostoïevski.

Oeuvre foisonnante sur la faute et la rédemption, peinture extraordinairement évocative d’une humanité déchirée entre le bien et le mal, analyse psychologique en profondeur d’une âme coupable, Crime et Châtiment est un de ces monuments artistiques inépuisables, qu’on peut tourner et retourner sous plusieurs angles. Il ne faut sans doute pas se surprendre que la production de l’Absoluthéâtre mette de l’avant la dimension grotesque contenue dans le roman fondateur de Dostoïevski.

Avec ses scènes aussi absurdes que chargées dramatiquement, ses personnages qui surgissent à des moments inopinés, son protagoniste tourmenté par d’affreux questionnements, le chef-d’oeuvre de la littérature russe donne lieu à un spectacle ambitieux, chargé et inégal, à l’atmosphère flirtant avec le cauchemar.

La pièce en acquiert une vague saveur kafkaïenne, évoquant un Procès à l’envers, parcours, parsemé d’étonnantes rencontres, d’un être angoissé par le crime d’orgueil qu’il a commis, mais dont on tarde à l’accuser. Dans l’évocatrice trame sonore de Helmut Lipschy, un choeur de voix (dominé par celle de Karen Young) crée un écho torturé et railleur aux tourments de Rashkolnikoff.

Se déployant dans un décor à deux niveaux, la complexe mécanique de la mise en scène d’Igor Ovadis est passablement efficace – bien qu’un peu lourde, avec ces plateaux qui montent et descendent, ces deux escaliers qui se resserrent pour suggérer l’espace comprimé de la chambrette de Rashkolnikoff, son sentiment d’oppression…

Le metteur en scène d’origine russe mise sur une vision très théâtrale, où même le meurtre de la vieille usurière, élément déclencheur de l’histoire, fait abstraction de tout naturalisme brutal. Certains personnages secondaires sont affublés de masques, devenant en quelques sorte des types à la commedia dell’arte. Lui-même incarnant avec une rondeur pleine de sous-entendus menaçants un policier ratoureux mais aux airs bonhommes (ancêtre, peut-être, de tous ces enquêteurs fins finauds qui camouflent leur habileté sous une allure inoffensive), Ovadis a dirigé ses comédiens – qui jouent généralement plusieurs rôles – dans cette voie s’éloignant du réalisme. Entre autres compositions, Marc Béland, le verbe clair, campe avec grande netteté son fiancé pédant. Violette Chauveau exacerbe les débordements survoltés de la mère. Serge Mandeville compose subtilement un dandy diabolique. Geneviève Cocke se révèle assez touchante.

Toute la (jeune) distribution n’est cependant pas à la hauteur. Stefan Perreault s’acquitte avec peu de finesse d’un rôle ingrat, celui de l’ami bien intentionné mais aveugle. Marie-Christine Lalande rend sa veuve misérable plus hystérique que désespérée. Et pas facile de doser: certaines scènes basculent dans une trop grande bouffonnerie (notamment celles où apparaît la caricaturale logeuse allemande, interprétée par Violette Chauveau).

Décidés à ne rien sacrifier dans la toile d’histoires entrelacées qui forment la trame de Crime et Châtiment, Igor Ovadis et Serge Mandeville ont tracé leur chemin dans cette dense matière en reconduisant les principaux épisodes de la descente aux enfers de l’ex-étudiant. Leur adaptation assez directe (en première partie, la pièce est menée par l’action, succession assez rapide de scènes, alors que la seconde portion installe de plus longs échanges) offre au jeune public du Théâtre Denise-Pelletier une coupe à travers cette oeuvre magistrale. Mais en restitue-t-elle toute l’ampleur tragique? Surfant sur tout (sauf la dimension liturgique, presque entièrement évacuée), le spectacle donne un peu l’impression d’être à la fois long (trois heures) et, parfois, insuffisamment fouillé. Il semble manquer un coeur vital à cet itinéraire tragi-comique, où les autres personnages, les pans ironiques, tendent à prendre un peu le pas sur les sombres bouillonnements de l’âme du fiévreux Rashkolnikoff.

Isolé des autres par sa conscience, puis par son crime, celui-ci paraît presque en marge des événements. Une silhouette inquiétante, découpée par la lumière dans son long manteau noir, qui le définit si bien, hantée par le regard intense de Maxim Gaudette, qui joue ici de dépouillement. Ce qu’on peut peut-être reprocher à l’interprétation du talentueux jeune comédien, c’est de garder un certain monolithisme, dans un personnage tout en contradictions, écartelé entre le mépris, la haine et l’humanité, entre le désir de se cacher et des sursauts presque involontaires de quasi-aveu.

C’est peut-être pourquoi la finale nous laisse un peu sur notre faim. Comme si le spectacle ne nous avait pas vraiment permis de pénétrer l’esprit troublé de Rashkolnikoff, ce que le roman faisait si magistralement.

Jusqu’au 19 février
Au Théâtre Denise-Pelletier
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