Les Chaises : La cérémonie des adieux
Créée en 1952, à Paris, la pièce d’Ionesco, ce maître de l’absurde et auteur de pièces majeures (Le roi se meurt, La Cantatrice chauve, Rhinocéros…), demeure d’une incroyable efficacité dramatique. L’histoire de ce couple incapable de communiquer est à la fois drôle et tragique, dérisoire et pathétique.
«Peu de gens savent être vieux», a écrit La Rochefoucauld. Et le couple presque centenaire des Chaises ,d’Eugène Ionesco, en est la preuve. Reclus, déçus, désillusionnés, les deux vieux amants du répertoire français reçoivent et dialoguent avec des invités imaginaires comme d’autres chantent pour passer le temps. Tour à tour, ils interprètent le passé à leur façon. Puis, ils s’adressent à une assemblée de chaises vides. En attendant que l’Orateur livre un message pour éclairer l’humanité… message que personne ne comprendra.
Créée en 1952, à Paris, la pièce d’Ionesco, ce maître de l’absurde et auteur de pièces majeures (Le roi se meurt, La Cantatrice chauve, Rhinocéros…), demeure d’une incroyable efficacité dramatique. L’histoire de ce couple incapable de communiquer est à la fois drôle et tragique, dérisoire et pathétique. À mon avis, cette oeuvre demeure à ce jour inégalée. Dans l’ombre de leur drame, on reconnaît l’attente de Vladimir et d’Estragon (rôles créés un an plus tard), mais aussi la blessure de George et Martha dans Qui a peur de Virginia Woolf? d’Edward Albee, avec leur enfant imaginaire. On pense aussi au théâtre de Michel Tremblay, dont les personnages tragiques sont marqués au fer de l’absurde. Le «chus pu capable de rien faire» de la famille d’Albertine répond au «si j’avais pu» du vieux maréchal des logis.
L’actualité de l’oeuvre est discutable, bien que cela demeure un classique. Car, entre les répliques, on sent l’angoisse d’une génération marquée par le cauchemar de deux grandes guerres et par le nazisme en Europe, qui ne cultivait plus grand espoir en l’humanité. Or, si un chef-d’oeuvre résonne différemment d’une époque à l’autre, selon le contexte social, il n’en demeure pas moins un chef-d’oeuvre.
Dans la production signée Paul Buissonneau, et présentée au Rideau Vert jusqu’au 26 février, c’est le côté grotesque de ce vieux couple qu’on retient le plus. Le metteur en scène a volontairement appuyés le caractère outrancier de leur délire. Poudrésde la tête aux pieds, mal fagotés dans leurs habits de noces usés, les deux vieillards sont assis au milieu d’une scène bordée de nombreux cierges. On dirait une messe; une cérémonie des adieux pour deux disparus. Car ce couple fait penser à deux morts qui, hantés par leur passé, reviennent sur la Terre pour en finir avec leurs doutes et leurs contradictions.
«Si tu avais voulu, tu aurais pu être un maréchal en chef, un journaliste en chef, un facteur en chef…», ne cesse de reprocher la femme à son mari. Cette dernière est magnifiquement défendue par Héléne Loiselle, qui reprend un rôle qu’elle avait endossé au Quat’Sous, il y a un peu moins de dix ans, dans une mise en scène de Daniel Roussel. Prenez-moi au mot: vous iriez au Rideau Vert simplement pour voir le travail de madame Loiselle, que cela en vaudrait la peine. Elle est formidable dans chacun de ses gestes et de ses intonations, totalement présente, à l’écoute, et incroyablement habitée par ce rôle fort exigeant. À ses côtés, Gérard Poirier, un autre de nos grands acteurs, donne aussi une magnifique prestation, un peu moins éloquente que la comédienne, mais très juste. Soulignons également le travail remarquable des concepteurs: les beaux éclairages de Stéphane Mongeau, les costumes de François Barbeau, et le décor de Mario Bouchard qui font de cette production une belle réussite.
Jusqu’au 26 février
Au Théâtre du Rideau Vert
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