Michel Marc Bouchard : Un monde sans pitié
Scène

Michel Marc Bouchard : Un monde sans pitié

Auteur de 25 pièces en 20 ans, Michel Marc Bouchard est devenu l’un des ambassadeurs de la dramaturgie québécoise. Chez Duceppe, il dirige lui-même sa prochaine création, entre autres projets, avant de s’accorder une pause bien méritée.

Le jour de son anniversaire, le 2 février, Michel Marc Bouchard a visité une porcherie!
Drôle d’endroit pour un party? Le dramaturge s’est imposé cette «expérience traumatisante» des abattoirs parce que sa prochaine pièce, Sous le regard des mouches, se déroule au milieu d’une porcherie. En compagnie des comédiens, devenus livides à cause de l’odeur, Bouchard a vérifié si l’atmosphère insupportable du lieu correspondait bien à celle de sa création.
Mais pourquoi, diantre! l’auteur des Feluettes a-t-il décidé de faire évoluer ses protagonistes dans la promiscuité de 14 ooo cochons? «J’ai voulu représenter la quête du morbide de notre époque. À l’heure actuelle, la culture du scabreux et du sensationnaliste est dominante. Combien y a-t-il de meurtres, d’accidents, d’opérations et de catastrophes à la télévision aux heures de grande écoute? Les gens veulent voir la mort en direct, dans leur salon, pour contrer leur ennui. Alors, j’ai voulu faire le procès du spectacle de la misère humaine.»
L’auteur va lui-même mettre en scène Sous le regard des mouches, qui sera à l’affiche du 16 février au 25 mars À la fois stimulé et angoissé par le défi de diriger cette production (sa deuxième création en deux ans chez Duceppe), Bouchard veut faire une mise au point: «Je ne prétends pas être metteur en scène: je suis un auteur qui monte une de ses pièces. Je n’étais pas non plus frustré par le travail des metteurs en scène sur mes textes précédents. Je voulais simplement redécouvrir le plaisir des planches, retrouver les acteurs en salle de répétition. Je réalise aujourd’hui que je m’impose une double frayeur. Mais l’auteur reste plus effrayé que le metteur en scène… Une mauvaise pièce, c’est une mauvaise pièce. Un metteur en scène ne peut pas faire de miracles.»

L’homme blessé
Sous le regard des mouches dépeint donc une situation d’une noirceur extrême, mais aussi un homme s’invente un monde pour ne pas voir le sordide de son quotidien. Le propriétaire des lieux Roger La Rue) vit dans cet univers très fermé, isolé, avec sa mère (Marie Tifo), une femme qui oublie sa névrose en confectionnant des robes, et son jeune cousin Vincent (Sébastien Delorme), un être de lumière dont il est secrètement amoureux. Ce dernier fait une fugue. Quelques jours plus tard, il revient à la porcherie en compagnie d’une nouvelle blonde (Céline Bonnier). Mais le grand cousin en question a une arme fatale pour le garder auprès de lui…
«Roger (La Rue) joue avec brio ce personnage de misanthrope et de mythomane, affirme son metteur en scène. C’est un maître du morbide qui s’invente un monde de raffinement (il appelle sa porcherie un château!). Il entraîne son cousin et sa mère dans ses jeux malsains et ses fabulations. Il met en scène la maladie et la mort. Je pense qu’il représente une facette sombre de moi, de mon imaginaire… C’est un croisement entre Edgar Allan Poe et Tennessee Williams!»

On retrouvera donc des sujets familiers de l’oeuvre dramatique de Michel Marc Bouchard: l’enfance abusée, la blessure amoureuse, la famille avec en avant-plan le personnage mythique de la mère; le théâtre dans le théâtre; et l’homosexualité non assumée.
«Quand le personnage de Roger fait référence à l’autre côté des murs (de la porcherie), il dit: "C’est Rimbaud qui vend des armes; c’est Mishima qui se fait hara-kiri; c’est Tennessee Williams qui se noie dans l’alcool; c’est Pasolini qui se fait tuer sur une plage… Il est persuadé que le destin des hommes gais, c’est la souffrance, la douleur, la solitude et la tragédie. C’est pas un commercial pour la fierté gaie, ma pièce! Si les membres de la communauté réagissent mal, à la limite je m’en fous. Je suis un créateur, pas un politicien! J’ai déjà montré un couple de gars qui s’embrassaient sur la scène d’un théâtre d’été à Beloeil, et les huit cents spectateurs applaudissaient tous les soirs! Là, j’explore autre chose. Je ne suis pas là pour montrer seulement des role models. C’est un état, l’homosexualité; pas une qualité.»
Les Muses orphelines
, réalisé par Robert Favreau, est prévue pour le printemps (après le Théâtre de la Cité à Paris, en janvier, la pièce est actuellement à l’affiche à Rouen). Pendant ce temps, Les Feluettes sont acclamées à Mexico. L’Histoire de l’0ie est en tournée européenne avec le Théâtre des Deux Mondes, en plus de faire l’objet d’une production berlinoise. Le Voyage du couronnement sera présentée en anglais à Calgary et à Vancouver cet hiver. Le Chemin des Passes-Dangereuses est en tournée à travers la France et la Belgique, et sera aussi créée en anglais à Vancouver, puis en italien à Florence. Finalement, la création de sa pièce suivante se fera au Festival of the Arts de Melbourne, en septembre 2001, (après Toronto, l’oeuvre devrait être produite en 2002 dans un théâtre de Montréal).
Mais le dramaturge n’a pas l’ambition de devenir le Luc Plamondon du théâtre québécois: «C’est vrai que je ne m’arrête pas depuis 20 ans: 25 pièces créées au théâtre en plus de la réécriture pour les reprises, les scénarios de films, la télé. J’ai même réalisé un projet d’exposition historique, Ludovica, au Musée de l’Amérique française à Québec. J’ai parfois l’impression que tout le monde organise mon emploi du temps. Je veux m’accorder un break
Ce sera une pause bien méritée. _____
Du 16 février au 25 mars
Au Théâtre Jean-Duceppe
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