Phoebe Greenberg : Le temps des bouffons
Phoebe Greenberg ne manque pas de sérieux quand elle parle de sa passion: le bouffon. Une passion qu’elle cherche à partager avec les Montréalais depuis quelques années. Après L’École des bouffons et La Couronne des douze étoiles, Les Créations Diving Horse consacrent un autre spectacle à l’univers multiforme de la bouffonnerie.
Phoebe Greenberg ne manque pas de sérieux quand elle parle de sa passion: le bouffon. Une passion peu commune, qu’elle cherche à partager avec les Montréalais depuis quelques années. Après L’École des bouffons et La Couronne des douze étoiles, Les Créations Diving Horse, la compagnie qu’elle a fondée en 1990, consacrent un autre spectacle à l’univers multiforme de la bouffonnerie. Mis en scène par Robert Astle, assisté par Phoebe Greenberg, Croisades prendra l’affiche du Théâtre Prospero le 16 février.
«J’ai découvert le bouffon à l’école Jacques Lecoq, il y a quinze ans; et depuis, ça me fascine par la façon dont ça aborde les grands thèmes, explique la directrice artistique. La bouffonnerie, c’est très vaste. Pour moi, ce qui est capital, c’est l’élément de parodie. Les bouffons se moquent de nous, mais aussi de nos croyances, de nos convictions les plus profondes. L’élément de moquerie porte un certain mystère. Ça permet de poser un regard différent sur les choses, de s’en distancier un peu, d’en parler d’une façon qui ne serait pas possible, à mon avis, avec le mélodrame ou la tragédie, à une époque où les gens ont une certaine lucidité.»
Et le texte du dramaturge français Michel Azama, créé en 1988 en Avignon, traite de
«la guerre à travers l’Histoire», de ces conflits de croyances qui tournent éternellement depuis les Croisades; et, plus généralement, des atrocités commises par l’humanité, du bien et du mal. Sis dans un monde apocalyptique, où «la ligne entre la vie et la mort est floue» (ce qui refléterait plutôt la réalité de la guerre, dans laquelle «la mort cesse d’être un événement»), cette «fable poétique» se prêtait bien au monde du bouffon, à cette folie du jeu qui impose une distance, un nouveau regard. Une dénonciation par le plaisir ludique, loin du premier degré.
Traditionnellement associé aux éléments rejetés par la société (les lépreux, par exemple), qui prenaient plaisir à jouer une communauté à laquelle il leur était interdit de participer, on pourait dire que le bouffon est l’art des exclus. Pensons au fou du roi, seul capable de déclamer ses quatre vérités au souverain sans risquer sa peau…
Dans un corps de bouffon, écrit Jacques Lecoq, on peut «dire des choses inouïes, jusqu’à se moquer de "l’immoquable"». Affligés de diverses difformités, des handicaps élaborés lors d’exercices par les comédiens eux-mêmes (Phoebe Greenberg n’est pas peu ravie de la qualité de sa distribution, où figurent notamment Patrice Coquereau, Nathalie Claude, Patrice Savard, Suzanne Lemoine et Jean Boilard), les bouffons «donnent l’impression qu’ils ne sont pas nous, explique la directrice. Ils viennent d’ailleurs, ce qui offre déjà une liberté de jeu, nous incite davantage à accepter ce qu’ils disent. C’est différent du clown. On s’identifie au clown: quand il a un accident sur scène, on en rit. Tandis qu’on a l’impression que les bouffons rient de nous. Et c’est un rire jaune, ça peut toucher le territoire de la tragédie.»
Du 16 février au 4 mars
Au Théâtre Prospero
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