Les Enrobantes : La grande illusion
Scène

Les Enrobantes : La grande illusion

Je bande, donc je suis… Cela pourrait être le cogito que lancerait le personnage de Sigmund Freud dans Les Enrobantes, cabaret décolleté pour psychanalyste plongeant. En effet, l’impuissance sexuelle du père de la psychanalyse est la prémisse de cet étonnant spectacle de marionnettes pour adultes.

Je bande, donc je suis… Cela pourrait être le cogito que lancerait le personnage de Sigmund Freud: dans Les Enrobantes, cabaret décolleté pour psychanalyste plongeant, une pièce du Théâtre Pupulus Mordicus présentée à la salle Fred-Barry jusqu’au 26 février. En effet, l’impuissance sexuelle du père de la psychanalyse est la prémisse de cet étonnant spectacle de marionnettes pour adultes. Un spectacle qui, outre la sexualité, aborde aussi la censure du régime nazi, les rivalités entre les psychanalystes contemporains de Freud, et la question juive.

Manifestement, l’auteure, Marie-Christine Lê-Huu, et les concepteurs ont été fascinés par le contexte sociopolitique des Enrobantes: les années trente, à Vienne, au coeur d’une Europe qui s’apprête à vivre un des épisodes les plus sombres de son histoire. «Une grande époque mourra avec le psychanalyste, écrivent-ils dans le programme. Une époque qui a vu naître l’expressionnisme allemand, le théâtre de Brecht, la musique de Kurt Weill, les cabarets, les toiles de Munch et de Schiele; mais aussi la montée du nazisme et l’apogée de l’antisémitisme.»

Grandeur et décadence de l’Europe à l’aube de la Seconde Guerre mondiale: tel est donc le vaste thème de ce savoureux petit spectacle. Deuxième création du Théâtre Pupulus Mordicus, fondé en 1995, d’après une idée originale du codirecteur de la compagnie, Pierre Robitaille, Les Enrobantes a remporté le Masque de la meilleure production à Québec pour la saison 1997-1998. Le texte est librement inspiré de la nouvelle Le Professeur Unrat d’Heinrich Mann, et du film L’Ange bleu.

Les personnages principaux sont incarnés à la fois par des marionnettes à gaine et par les comédiens-manipulateurs: Robitaille, Anne-Marie Olivier, Véronique Saint-Jacques et Martin Genest. La mise en scène éclatée de Gill Champagne ainsi que la présence des musiciens, compositeurs et bruiteurs Frédéric Lebrasseur et Martin Bélanger rendent encore plus vivante et surprenante cette création québécoise.

Quand la rumeur circule que Freud, impuissant, ne peut pas satisfaire sa femme, plusieurs ennemis et détracteurs du célèbre docteur aimeraient bien pouvoir dévoiler publiquement son manque. Deux soldats nazis («Nous sommes des bons Aryens», lancent-ils en guise de présentation) décident alors de cambrioler le bureau de Freud afin de mettre la main sur un document résumant son auto-analyse, devançant ainsi les tentatives de deux psychanalystes rivaux: Jung et Melanie Klein. Freud tentera de récupérer les précieux documents et se rendra au Cabaret de madame Guste. L’apparition de Lola (une «pute de corps mais jamais pute de coeur»), marionnette calquée sur le personnage de Marlène Dietrich dans le film de Josef von Sternberg, mettra un peu de piment dans la libido de Freud. Mais les problèmes sexuels du psychanalyste passeront au second plan quand un vent d’intolérance soufflera sur l’Histoire…

À mon avis, la deuxième partie des Enrobantes (plus sombre, dramatique) illustre mieux le propos des créateurs que la première partie, légère et grivoise (les problèmes phalliques de Freud prêtent à quelques jeux de mots faciles…). L’illusion est dans l’oeil de celui qui regarde et non dans le phénomène observé, dit, de mémoire, l’un des personnages à la fin de la pièce. Voilà le tour de force de ce spectacle ingénieux quoiqu’inégal. La magie de la marionnette opère.

Jusqu’au 26 février
À la salle Fred-Barry
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