Pierre-Yves Lemieux : Conte d'auteur
Scène

Pierre-Yves Lemieux : Conte d’auteur

Après un séjour comme auteur en résidence à la Chartreuse près d’Avignon, l’an dernier, PIERRE-YVES LEMEIUX a compris ses mécanismes d’écriture et fait le point sur son métier. Monsieur Smytchkov, sa plus récente pièce sera créée le 22 février au Théâtre d’Aujourd’hui.

Entre deux pièces originales, Pierre-Yves Lemieux a coutume de s’attacher à l’univers d’autres auteurs, traçant sa voie avec des adaptations ou des réécritures. «J’ai besoin d’un déclencheur pour écrire, explique-t-il. Souvent, c’est un défi qu’un comédien ou un metteur en scène va me poser. De toute façon, on part toujours de quelque chose, que ce soit un souvenir qu’on nous a raconté, un fait vécu dans sa vie. Moi, je me sers d’une idée, d’un personnage chez un autre créateur, c’est tout. Tout le monde le fait. Je ne crois pas au génie descendu du ciel, avec la baguette magique. On est toujours provoqué et inspiré par quelque chose. Et après ça, c’est du travail.»

Cette fois-ci, Pierre-Yves Lemieux a été inspiré par une courte nouvelle de Tchekhov – un auteur auquel il s’est déjà frotté avec beaucoup de succès, de Comédie russe. On lui avait demandé un collage d’oeuvres du grand Anton pour le Cycle Tchekhov du Théâtre de l’Opsis, il a plutôt décollé en lisant l’une des 250 nouvelles écrites par l’écrivain russe… et créé trois pièces!

À l’arrivée, Monsieur Smytchkov – qui sera créée le 22 février au Théâtre d’Aujourd’hui, dans une mise en scène de Luce Pelletier – et les deux suivantes sont bel et bien des textes de Pierre-Yves Lemieux, qui ne doivent plus énormément à Tchekhov, sinon une parenté d’émotions. Et l’anecdote de départ du Roman de la contrebasse: au début du siècle, un musicien (incarné par François L’Écuyer) rencontre une femme détroussée de ses vêtements. Reconnaissant dans la belle en détresse son épouse enfuie depuis plusieurs années, il la camoufle dans son étui de contrebasse…

«C’est une pièce sur l’abandon. En cours de route, je me suis rendu compte que j’étais peut-être en train d’écrire la suite de mon personnage de mari délaissé de Comédie russe, qui est l’une des dernières choses que j’ai jouées. La pièce se rattache aussi au Cycle à cause du non-dit, qui est très tchékhovien, mais qui se retrouve aussi beaucoup dans tout ce que j’écris: un personnage parle de quelque chose, alors que le sous-texte veut dire autre chose. J’en ai fait une pièce sur tout ce qui est caché. Les deux personnages se cachent, se déguisent constamment.»

Lemieux a gonflé ce petit conte à l’état brut de tout un discours intérieur. «C’est une pièce d’états intérieurs, d’émotions. Et c’est une gymnastique verbale pour un acteur. La structure de la pièce est en montagnes russes. Mais, en même temps, c’est très simple. Et rien n’est plus difficile que d’arriver à être simple. De tenir les gens avec juste un petit bonhomme totalement vrai, qui nous parle. Sans fioritures littéraires, même si ça reste un conte. Il y a un côté presque Franfreluche…»

Avec les deux autres membres de la famille Smytchkov (Madame et Le Chien) en réserve, l’auteur de la trilogie des Désarrois amoureux a composé un triptyque où une même histoire est racontée sous trois regards différents. «Quelqu’un qui me connaît bien m’a dit: "Je ne sais pas si c’est ton background d’acteur, mais on dirait que tu es incapable de ne donner qu’une seule version des faits. Tu travailles en prisme." Ça, c’est tchékhovien aussi. Je ne donne pas de réponses, je ne suis pas un auteur à coups de gueule. C’est ma personnalité. J’ai beaucoup de recul, mes personnages en ont toujours sur eux-mêmes. Chez Tchekhov, aussi, les personnages ont énormément de recul sur leur vie. C’est pourquoi c’est si facile pour moi de me coller à cet auteur-là. Et en général, toute l’équipe de l’Opsis a énormément d’ironie. Sur nous, sur la vie.»

Aux grands épanchements, Pierre-Yves Lemieux préfère une façon effacée, simple, de dire les choses, les spectacles qui font leur oeuvre par en dessous, et révèlent après coup leur richesse… Un théâtre de «désamorçage». Ainsi, loin d’être larmoyant, malgré sa douleur, le monologue de Monsieur Smytchkov joue de drôlerie. «Dans la vie, quand les gens racontent quelque chose de triste qui leur est arrivé, ils ne le font pas de façon hystérique, explique-t-il. Ils vont même blaguer un peu, mais ça reste déchirant. Et c’est ce qui m’intéresse: le petit côté feinte. Comme au tennis: vous pensez que je vais faire un smash, mais oups! c’est un amorti. Je pense que l’écriture de Tchekhov, c’est ça.»

Un séjour comme auteur en résidence à la Chartreuse, l’an dernier, a permis à Pierre-Yves Lemieux de comprendre ses mécanismes d’écriture, de faire le point sur sa ligne, les thèmes qui traversent son parcours en apparence très éclaté, entre le travail de recherche à l’Opsis et les comédies plus grand public. «Le bonheur, pour un auteur, c’est sans doute quand arrive ce moment dans ta carrière où, quoi que tu écrives, on reconnaît quand même ton style, ton univers. Et toi aussi.»

Surtout, ça lui a donné confiance. «J’ai toujours pensé que j’étais un acteur qui écrivait. Et je me suis rendu compte, notamment en côtoyant des auteurs pendant trois mois, que non. Je suis un auteur. J’ai réalisé que j’avais une respiration, un rythme d’auteur. Et qu’il y a des choses dont j’allais probablement parler pour le restant de mes jours.»

Du 22 février au 4 mars
À la salle Jean-Claude Germain du Théâtre d’Aujourd’hui
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