

Claude Poissant : L’art du possible
«Projet complètement fou au départ», Les Enfants d’Irène réunit une douzaine d’artistes autour de l’auteur et metteur en scène Claude Poissant. Place à la comédie urbaine.
					
											Marie Labrecque
																					
																				
				
			Le sommeil se fait rare ces jours-ci pour Claude Poissant,  qui incarne à lui seul la sainte trinité théâtrale: à la fois  auteur, metteur en scène et producteur de la nouvelle création  du Théâtre PàP, Les Enfants d’Irène. Des trois  chapeaux, celui qu’il chérit le plus en ce moment, c’est bien  sûr le moins souvent porté, celui des occasions spéciales.  L’auteur.
  «Parce qu’il me force à aller en un lieu où je ne vais qu’une  fois par quatre ou cinq ans, précise Claude Poissant. Dans une  autre forme d’exigence: celle de rentrer à l’intérieur de moi,  et pas seulement à l’intérieur des autres. Le metteur en scène  monte des pièces un peu partout, il aime ça. Mais il faut se  ressourcer périodiquement, et au lieu de toujours le faire en  partant en voyage, je peux faire un voyage intérieur.  L’écriture, c’est très exigeant pour moi. Je sais que je ne  peux plus me satisfaire de peu. Mais l’auteur doit sortir de sa  coquille de temps en temps. Depuis Si tu meurs je te  tue, j’ai écrit un conte urbain et j’ai fait Les  Yeux, avec Martin Faucher, une expérience où l’on a appris  ben des affaires… (rires)»
  Claude Poissant qualifie Les Enfants d’Irène de  «projet complètement fou au départ, soit de réunir du monde  qu’on aime, et de leur demander: qu’est-ce qu’on a à dire en  commun?» Le créateur s’est entouré de jeunes concepteurs et de  comédiens avec lesquels il avait envie de travailler – les  Marie-France Lambert, Julie McClemens, Benoît Vermeulen,  Reynald Robinson et compagnie. Et ils se sont découvert des  désirs communs: faire un show urbain, ancré à Montréal, et que  ce soit une comédie.
  Leurs discussions collectives sur la vie, le monde, ont nourri  l’auteur, qui écrivait une scène tous les soirs. Jusqu’à  accoucher d’un objet hybride, auquel il a dû ensuite donner une  forme unique. «C’est ainsi que j’ai construit mon puzzle, en  ciblant les sept comédiens, que je connaissais, pour leur  écrire un rôle dans des zones où eux aussi voulaient aller. Me  servir de parties d’eux qui, au théâtr, ne sont pas  nécessairement exploitées.»
  À la base de la création, il y a aussi un «gros» mot qui court  aujourd’hui sur toutes les lèvres: mondialisation. Claude  Poissant a demandé à la bande de lire un essai sur le sujet:  Le Djihad versus McWorld, de Benjamin Barber. «Ç’a été  notre déclencheur. J’avais le goût de voir au quotidien ce que  ça faisait à nos vies. Mais je ne pourrai jamais prétendre que  c’est un show sur la mondialisation. Je ne fais pas une pièce à  une thématique. Dans les créations du Petit à Petit des années  1975 à 1982, on avait un thème, qu’on développait. J’ai moins  le goût de dire UNE affaire; j’ai envie de provoquer une  réflexion à partir de multiples choses. Et également que  l’univers que j’écris puisse toucher autant le social que  l’humain, le politique… Mettre toutes ces choses-là ensemble,  et après faire un casse-tête qui se tienne.»
  Le principe de mondialisation met en opposition deux pôles  extrêmes: le rebelle contre le système qui, s’il pousse sa foi  à la limite, peut devenir intégriste. Et l’adepte de  l’américanisation totale de la planète. «On s’est aperçus que  toute personne était influencée par ce contexte-là,  consciemment ou pas. Alors, on a mis au centre du texte un  personnage conscient de la chose, en réaction contre le  système, comme on l’est tous, mais d’une façon un peu plus  cynique, baveuse, et aussi un peu plus fragile. Et restait à  voir comment les personnages qui sont directement reliés à son  quotidien allaient subir sa rébellion.»
  Série de tableaux elliptiques, Les Enfants d’Irène  tourne autour de Matthias (Sébastien Ricard), un être en peine  d’amour, qui balance entre sa fascination pour l’autoroute  électronique et son refus d’agir dans la société, à commencer  par travailler ou gagner de l’argent. «C’est un être qu’on  voulait en éternelle contradiction avec ses principes, résume  Poissant. Il est incapable de réaliser concrètement les  théories qu’il avance. Et son principe de base, c’est qu’il ne  veut rien faire (jusqu’à se défaire de toute frme d’émotivité,  parce qu’il est sur-émotif). Rien. Chose qui, en soi, est  impossible.»
  Avec un humour assez méchant, la pièce pose un regard grinçant  sur ces personnages, sur «la route tortueuse que l’humain  emprunte pour aller là où il ne va jamais». «Tout ce que  l’humain se trace comme objectif est toujours dérivé, par  lui-même, par les autres, par son changement d’opinion.  Aujourd’hui, des gens entiers comme Michel Chartrand, ça  n’existe plus beaucoup! (rires) Matthias se trace des sentiers  qu’il est incapable de suivre. Et c’est un peu là-dedans que  tous les personnages sont: ils s’égarent et se laissent  complètement influencer par les gens autour d’eux et ce qu’ils  provoquent, c’est-à-dire le système lui-même. Donc, on manque  de détermination. On pervertit très facilement ses propres  idéaux. Et le pire, c’est qu’on a tellement d’orgueil qu’on  essaie de ne pas s’en rendre compte. Jusqu’à ce que ce soit  trop gros.»
  Alors que le monde se complexifie et que notre sentiment  d’impuissance grandit, pas facile d’être conséquent, ne  serait-ce qu’au quotidien, avec ses propres convictions…  «Maintenant, la chose la plus dure, c’est d’être honnête. Faire  de l’argent, c’est probablement très facile! Mais être honnête,  c’est difficile. Et être honnête avec soi-même, ça l’est encore  plus.»
  Alors, qu’est-ce qu’on fait? «On en parle!» répond Claude  Poissant en riant. Que ça change quelque chose ou non. On peut  toujours l’espérer. Sans certitude. «Si j’étais capable  d’affirmer des choses quand j’écrivais à l’âge de 25 ans, plus  ça va, plus je dirais que le doute est en quelque sorte la  chose la plus rassurante qui existe. La seule certitude que  j’aie, c’est de douter en c… Je trouvais le doute très  ébranlant, il y a quelques années. Alors, j’essayais de poser  des choses qui pouvaient devenir des jugements, même des  préjugés parfois. Alors qu’aujourd’hui, je sais que j’ai des  préjugés et j’essaie de les identifier et de les démolir, en  sachant que d’autres vont surgir.»
  Au jeu de la création non plus, rienn’est jamais coulé dans le  béton. «C’est ce que j’aime: que ça reste vivant», dit le  créateur, que le processus emballe visiblement. «Il faut juste  que j’arrive à me débarrasser du chapeau de producteur. De  temps en temps, je suis stressé. Je fais: ah, c’est le  producteur qui est stressé. Voyons donc, on n’a rien à prouver.  Allons au bout de ce qui nous tente, et l’objet qui va sortir  le 29 février, je suis sûr qu’on va l’aimer. C’est déjà  beaucoup. Dans ce milieu-là, on est tellement pris, depuis  quelques années, avec toutes les zones parallèles, que ce soit  les commandites, les critiques, les Masques, ce qu’on pense que  le public voudrait voir… Consciemment ou inconsciemment, tout  ça finit par déterminer nos choix, par réduire notre champ de  vision. Or, tout est possible. Du 29 février au 25  mars
À l’Espace Go
  Voir calendrier Théâtre