Scène

Charles Gagnon : La monumentalité en ruine

Avec des oeuvres qui, au premier regard, sembleront d’un propos un peu aride, Charles Gagnon démystifie les systèmes représentatifs à la Galerie René Blouin.

L’artiste multidisciplinaire Charles Gagnon, qui a eu une rétrospective de sa production photographique au Musée du Québec à la fin de 98, expose ces jours-ci, à la galerie René Blouin, des oeuvres qui au premier regard sembleront d’un propos un peu aride. En juxtaposant dans un même cadre des peintures abstraites et des photos de désert (de l’Utah ou de l’Arizona), il semble nous proposer une réflexion, une comparaison, sur ces deux moyens d’expression. Faut-il voir entre eux une équivalence, une compétition, ou simplement une différence intrinsèque irréconciliable?

On pourrait croire qu’il s’agit d’une expo sur le cadre, sur le fait que la photo nous dit toujours un espace qui se continue hors champ, alors que la peinture serait toujours limitée aux bords de son support. Mais il y a plus que cela. En fait, il s’agit d’une réflexion sur l’échelle (et sur la perte d’échelle), sur l’espace que donne à sentir une représentation. Étrangement, jamais l’échelle conviée par une image ne dépend absolument du format gigantesque ou miniature de son support.

Ici, Gagnon travaille – on pourrait même dire déconstruit – la monumentalité. Ses clichés font penser à ses images anciennes qu’on pouvait voir lors de l’exposition Cosmos au Musée des beaux-arts l’été dernier, où les photographes de l’époque avaient capté pour la première fois les paysages surdimensionnés et presque extraterrestre, de l’Ouest américain. On pense à William Bell, Carleton Watkins, Timothy O’Sullivan, William Henry Jackson… Mais l’abstraction fait appel aussi une sensation de démesure. La peinture abstraite (celle de Pollock, par exemple) fut en Amérique – ne serait-ce que par les formats utilisés – l’expression de l’immensité et de la puissance du Nouveau Monde. Tout habitué à la démesure que convie la présence de ces deux types de médiums, mais aussi de représentation, le spectateur devrait alors ressentir doublement la monumentalité de l’ensemble. Pourtant, c’est le contraire qui se produit: la juxtaposition des images a l’effet inverse. Autant la photo que la peinture y sont ramenées, visuellement, à une pure couleur, une pure matérialité, un pur format qui nie l’espace fictif qui devrait s’y construire. On ne voit plus que la taille réelle des images. Gagnon démystifie les systèmes représentatifs.
Jusqu’au 11 mars
Galerie René Blouin

Plaisir de la gravure
La gravure fut bien à la mode à la fin du siècle dernier, au point que le peintre Pissarro écrivait en 1897 à son fils de Paris: «On ne s’occupe ici que des estampes, c’est une rage, les jeunes ne font plus que cela.» Le Musée des beaux-arts nous convie à une petite expo sur cet art qui a obsédé toute une génération d’artistes en France dans les années 1890. Cela vaut le détour, même si le spectateur n’y éprouvera que peu de surprises. À voir surtout pour le plaisir de retrouver dans le détail des images connues.

Cette présentation nous vient du Musée des beaux-arts d’Ottawa, qui fait circuler certaines de ces expos à travers le Canada. Heureusement, c’est plus réussi que la plus que banale présentation itinérante sur la nature morte qui, l’automne dernier, avait fait un arrêt au Musée d’art de Joliette.

Bien sûr, le spectateur aura droit à des affiches très connues comme celle réalisée pour la Revue Blanche par Pierre Bonnard ou pour le Divan Japonais qu’affectionnait Toulouse Lautrec. De ce dernier, il faut absolument contempler (à nouveau) sa représentation de la danseuse Loie Fuller. Cette artiste de music-hall avec ses drapés volant a émerveillé d’autres artistes comme Mallarmé ou Rodin, en recréant aux Folies-Bergère des formes de fleurs ou de papillons.

Les graveurs de l’époque ont abordé des sujets parfois plus surprenants. On reste bouche bée devant la Morphinomane, d’Eugène Grasset en train de se piquer la jambe avec une seringue. Il faut dire que les drogues (dont la cocaïne qui, comme chacun sait, était présente alors dans une certaine boisson sucrée) étaient déjà bien à la mode à cette époque. On ira surtout flâner dans les salles du MABM pour l’émerveillement réitéré que procurent les Odilon Redon et les Édouard Vuillard et pour contempler, au passage, les fesses offertes au spectateur de la jeune fille dans Manao tupapau de Gauguin…
Jusqu’au 16 avril
Musée des beaux-arts de Montréal

Érection statufiée du héros
Dans un des épisodes de la série télévisée Friends, le personnage de Ross racontait comment la princesse Léa (dans Star Wars) avait été à l’origine de ses premiers fantasmes d’adolescent. Éric Ladouceur interroge à la Galerie B 312 cette connexion qui existe entre l’imaginaire de notre enfance et celui de la pornographie. Sur un mur composé de miroirs (dans lesquels on peut se mirer), est présentée une série d’images sous plastique qui font penser à des cartes de hockey. D’un côté, on y voit des scènes tirées de sites érotiques d’internet, sur lesquelles l’artiste à inscrit des noms dont, entre autres, ceux de super-héros; de l’autre, des dessins représentant justement ces demi-dieux très découpés et très en forme…

Le travail de Ladouceur frôle la sempiternelle critique d’internet et du monde moderne des images mais réussit à en faire quelque chose de bien plus amusant et de plus intelligent. C’est une tentative de réflexion plus profonde sur les fondements de nos désirs. Magritte avait montré, à son époque, dans Ceci n’est pas une pipe, avec son écriture de tableau noir d’école et cette pipe (symbole, entre autres, de la masculinité paternelle), comment nos identités sexuelles sont liées à notre éducation. Ladouceur travaille lui aussi les liens entre texte, image et désir. Les Super Man, Spiderman, Hulk, Cat Woman prennent soudainement un autre sens, une autre identité. Mais qui a dit qu’il ne devrait pas y avoir – qu’il n’y a pas – de sexualité dans l’imaginaire de notre pré-adolescence?
Jusqu’au 11 mars
Galerie B 312

À signaler :
-La galerie Graff accueille le graveur argentin Alfredo Benavidez Bedoya. Celui-ci offrira un stage qui permettra d’apprendre la technique de la linogravure. De plus, il y aura une rencontre avec l’artiste, le 10 mars à 17 h, au cours de laquelle il discutera de l’art à l’heure en Amérique du Sud. Renseignements: 526-9851
L’art de la récupération qui permet de convertir des déchets en jouets ou autres objets du quotidien est un phénomène captivant dont on peut voir quelques exemples (dans une toute petite expo) à l’espace Afrique en mouvements (910, rue Jean-Talon Est). Qui n’a pas déjà entendu parler de la célèbre mallette «cot cot» (faite de canettes de boisson gazeuse, de boîtes de conserve, et de bandes dessinées comme doublure)? Ce nouvel attaché-case aurait depuis longtemps beaucoup de succès auprès des jeunes cadres dynamiques sénégalais. Jusqu’au 17 mars.

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