Dominick Parenteau-Lebeuf : Les chemins de la liberté
Scène

Dominick Parenteau-Lebeuf : Les chemins de la liberté

Après une tournée française et un arrêt au CNA en janvier, L’Autoroute passe rue Ontario, à la Maison Théâtre. Ce texte de Dominick Parenteau-Lebeuf, destiné aux 9 à 12 ans, est le fuit d’un long mûrissement lors d’une résidence au Carrousel en 1994-1996. Et ses premiers pas en théâtre jeune public.

L’automne dernier, sa parole a retenti deux fois au théâtre. Tandis que son Poème pour une nuit d’anniversaire était monté à l’Espace Libre, la France avait le privilège de la création du premier texte pour enfants de Dominick Parenteau-Lebeuf… qui n’aura pas (encore) trente ans en l’an 2000. Prolifique jeune auteure? Cela la fait rigoler: diplômée en écriture dramatique de l’École nationale de théâtre, elle est dans «le métier» depuis cinq ans; ses deux pièces, écrites il y a un bon bout de temps, piaffaient d’impatience d’être jouées.

Voilà donc qu’après une tournée française et un arrêt au CNA en janvier, L’Autoroute passe rue Ontario, à la Maison Théâtre. Ce texte, destiné aux 9 à 12 ans, est le fuit d’un long mûrissement lors d’une résidence au Carrousel de 1994 à 1996. Pour ses premiers pas en théâtre jeune public, elle aura ainsi été à bonne école… «On ne peut pas se permettre d’être à peu près avec ce public, affirme Dominick Parenteau-Lebeuf. Il faut aller au bout de ses enjeux, de ce qu’on à dire; les enfants l’exigent. C’est très bénéfique; malheureusement, on ne va pas toujours jusque-là. Je ne pourrai plus jamais écrire pour le théâtre autrement; cette exigence-là va rester.»

En racontant cette expérience au Carrousel, elle salue la grande rigueur mais l’égale générosité des directeurs artistiques, Suzanne Lebeau et Gervais Gaudreault. Avec ce dernier, le travail de mise en scène a été «un processus de confiance» dont elle est tout à fait contente, bien consciente de la rareté d’une telle collaboration, avec du temps devant soi.

Le propos de la pièce n’est pas rose bonbon. La mère de Mouche est partie; et tandis que le père dérape, la fillette jongle du haut de ses onze ans avec des concepts nouveaux: désir d’indépendance, abandon. L’autoroute, c’est le père qui décide de la faire construire pour faire revenir la mère. «C’est un moyen de séduction, explique l’auteure. Sa théorie, c’est que la mère est partie en ville parce qu’elle voulait du bruit et de la liberté; il lui offre l’un et l’autre, l’autoroute étant un symbole de l’accès à la ville.»

De Poème pour un nuit d’anniversaire, on reconnaît des motifs: la mère absente, le père qui veut recoller les morceaux. «Le père est un peu un écho de celui de Poème…, acquiesce l’auteure. Mais la thématique est davantage celle de l’abandon, et non du deuil. Certes, l’abandon peut être causé par la mort ou la séparation. Cette fois, un être est parti; on se sent trahi, abandonné, surtout qu’on sait qu’il pourrait revenir… on fait donc tout pour le ramener.»

Bien qu’on sache que la vie est semée de ces abandons, est-ce une trop dure réalité à montrer aux enfants? « Ce sont les adultes qui sont bouleversés; ils comprennent la pièce à un second degré. Ils sortent visiblement émus et, sans un mot, ramassent leurs enfants. La pièce touche autant les parents que les enfants.» Ces derniers paraissent plus sereins. Pour ceux qui ont vécu, et ils sont nombreux, cet abandon d’un parent, j’ai l’impression qu’ils se sentent réconfortés. C’est leur réalité, tout bêtement. Et ceux qui ne vivent pas cette situation la comprennent, car on peut se sentir abandonné par ses parents même si on vit avec eux.»

Le sujet est un peu tabou, puisque le départ de la mère est plus facilement condamné par la société. Or, Dominick Parenteau-Lebeuf note que cette réalité est moins inusitée qu’on le croit: «Nous avons reçu des témoignages de femmes qui, après le spectacle, évoquaient leur vie d’avant et leur vie d’après. Et quand on se met à en parler, autour de soi, on se rend compte qu’elles sont plusieurs. Ou que plusieurs y ont déjà pensé.»

Par chance, Mouche est une héroïne forte, brillante, avec du caractère, mais néanmoins une petite fille qui peut exister, assure sa créatrice: «Elle est confrontée à l’incommensurable tristesse qui l’envahit parce que sa mère l’a abandonnée. Elle se retrouve avec son père, le seul adulte sur qui elle peut prendre appui; mais lui, est complètement démuni. Quand il décide de faire quelque chose, c’est fou furieux; elle doit le suivre dans sa folie et, peu à peu, elle prend le dessus sur lui pour lui mettre en pleine face la réalité.» Contrairement à ce que proposent les rôles stéréotypés, c’est l’enfant qui reste bien ancrée dans la réalité. «Les enfants sont toujours très sur terre. Lorsqu’un drame survient, il y a une force qui les motive à bouger.»

Mais comment accepter le désir de liberté de celui qu’on aime? Son père lui dit que «l’indépendance, c’est l’envie poignante et radicale d’être et de faire ce qu’on est», tandis que, pour la mère, «être libre, c’est trouver le volume de sa vie». Mouche fait aussi l’apprentissage de la liberté, de façon draconienne: «Elle trouve sa liberté, explique la jeune auteure, en se butant à l’abandon de sa mère et en acceptant que celle-ci soit partie.» Pourtant l’enfant a le coeur amer lorsqu’elle déclare à son père: «On devrait tous se faire charcuter l’indépendance et la liberté, comme ça, on arrêterait de croire que tout est possible, on arrêterait de se mettre à courir l’espoir au ventre, de quitter sa campagne pour une vie à la ville, de croire aux bienfaits des autoroutes, ou de rêver que notre mère rentre au bercail.»

Si l’auteure évite de porter un jugement sur la mère, il n’empêche qu’elle fait dire à la petite fille toute sa rage. «Elle a beaucoup d’amour pour sa mère, mais bien sûr elle lui en veut. Elle crie, elle gueule, mais sa mère ne reviendra pas. Il y a des spectateurs qui en sont très déçus!… Mais ç’aurait été complètement bidon de la faire revenir.» Et cela, très peu pour Dominick Parenteau-Lebeuf qui, dans le vif d’une écriture poétique, découpe comme à la lame du couteau les sentiments vrais.

Du 8 au 19 mars
À la Maison Théâtre

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