Jean-Pierre Boucher : Le temps suspendu
Scène

Jean-Pierre Boucher : Le temps suspendu

Première pièce de l’auteur Jean-Pierre Boucher, Les Vieux ne courent pas les rues met à l’affiche une prestigieuse distribution d’expérience. Si vieillesse  pouvait…

Rien de tel qu’un Sommet de la jeunesse pour discuter… vieillesse. Pendant que notre belle jeunesse se fait valoir à Québec, les scènes montréalaises offrent un espace inhabituel à l’autre extrémité du cycle de la vie. Gérard Poirier et Hélène Loiselle jouent les vieillards dans Les Chaises au Rideau Vert; et le Théâtre d’Aujourd’hui ouvre ses portes à une distribution qui fait le plein d’expérience: Janine Sutto, Huguette Oligny, Gilles Pelletier, Monique Mercure, Catherine Bégin, Pierre Collin, Marthe Choquette et Claude Gai. Recrues, s’abstenir.

Avec une version originale datant d’il y a sept ou huit ans, Les vieux ne courent pas les rues est la première pièce signée par Jean-Pierre Boucher, qui en a écrit d’autres depuis. Sa première à connaître l’épreuve de la création. «J’ai appris que c’était plus facile d’écrire une pièce que de la faire jouer…», s’esclaffe l’auteur qui, à moins d’une semaine de la première, s’avoue complètement paniqué devant cet «accouchement très difficile».

Prof de littérature québécoise et de création littéraire à McGill depuis 1972, universitaire «très pragmatique et concret», Jean-Pierre Boucher avait écrit des essais, des récits, puis trois recueils de nouvelles. Mais pas de théâtre — un milieu qu’il ne connaissait pas -, malgré les conseils répétés de son entourage, inspiré par son don de dialoguiste. «J’ai découvert, au début de la cinquantaine, que j’ai une relative facilité à faire des dialogues. J’ouvre le stylo et les personnages parlent. Si j’avais su ça à 20 ou 30 ans, je serais peut-être allé de ce côté-là – ce qui ne veut pas dire que je suis promis à un bel avenir. On verra ce qui arrivera.» Il n’y a pas d’âge pour apprendre…

Au départ, Les vieux… était destiné à son recueil de nouvelles La vie n’est pas une sinécure. Mais l’écrivain s’est vite rendu compte que ses personnages l’emmenaient ailleurs. Il les a suivis… «Cette pièce-là, j’ai l’impression de l’avoir moins écrite que d’avoir transcrit ce que les personnages disaient, carrément. Mais en même temps, je dirais que c’est aussi cela, pour moi, écrire: être ce que je ne suis pas dans la vie de tous les jours. Je pense que c’est pour ça qu’on écrit. Je ne me verrais pas, par exemple, écrire de la fiction sur un prof d’université. J’ai assez d’être ça dans la vie, j’ai envie d’être autre chose dans l’imaginaire. Chauffeur de taxi, vendeur de tapis… Enfin, ce que je n’ai jamais été!»

Ou vieillard diminué, abandonné par ses enfants dans un foyer, comme les personnages esseulés des Vieux ne courent pas les rues. Les patriarches ne peuplent généralement pas les pièces non plus, même si la question du vieillissement de la population nous pend au bout du nez. Comme si on répugnait à se pencher sur ce douloureux sort qui nous guette…

«Lorsqu’on voit des vieux, on montre toujours des personnes âgées encore très guillerettes, pleines d’énergie, note l’auteur. Bravo, on espère tous être capables de fonctionner encore à 80 ans. Ça existe! Mais on sait comment ça peut être épouvantable pour d’autres, qui sont parqués dans des lieux où personne ne va les voir, qui ont perdu la mémoire, ou sont handicapés. Et ça nous inquiète. C’est pas la mort qui inquiète les gens. C’est Brel qui disait: "Mourir, cela n’est rien, mourir la belle affaire, mais vieillir…" Encore, vieillir normalement, ça va. Mais vieillir en étant handicapé mentalement… Nous vivons beaucoup plus longtemps qu’il y a un siècle. Mais est-ce qu’on continue comme ça jusqu’à temps que quelque chose nous rende complètement gaga, est-ce ça qu’on veut? Je pense que les baby-boomers ne voudront pas mourir comme ça. Ils ne voudront pas souffrir. Et comme, malheureusement pour les autres générations, ils font tout ce qu’ils veulent depuis qu’ils sont nés grâce à leur nombre, lorsqu’ils seront très nombreux à être vieux, ils pousseront dans le dos de tout le monde pour que les choses changent. Pour avoir le droit à la mort de manière digne.»

Sans vendre le punch, les vieillards de sa pièce ont encore la faculté de se révolter devant le sort qu’on leur réserve. Et de poser un geste de solidarité, malgré leurs chamailleries de grands enfants.

«Je n’aurais pas pu écrire une pièce noire et tragique sur un sujet pareil. Ç’aurait été imbuvable. Alors, il fallait que je trouve un ton, un niveau de langage, qui puissent rendre compte de leur situation de détresse, de solitude, mais en faisant rire à plusieurs moments par la façon dont ils disent les choses. J’espère qu’on ne pensera pas que je me moque de ces personnages. Je suis très mal placé pour en parler, mais il me semble qu’ils sont beaux dans leurs handicaps, leurs difficultés.»

Et Jean-Pierre Boucher trouve d’autant plus émouvant de les voir incarnés par des comédiens de «cette trempe». Au départ, René Richard Cyr, André Brassard (remplacé à la mise en scène pour raisons de santé) et lui avaient hésité: distribution plus jeune et maquillée, ou comédiens d’âge mûr? Ils ont rapidement opté pour cette dernière solution, malgré les difficultés inhérentes à ce choix: plus grande vulnérabilité physique, impossibilité de tenir de longues répétitions. «C’est aussi extrêmement inquiétant pour eux, parce qu’ils sont davantage interpellés par les personnages, qui les renvoient à leur état en partie actuel. Mais cette fragilité, je pense qu’elle va être tangible sur scène. Et pour cette pièce-là, c’est magnifique, parce que c’est de ça dont il est question.»

Du 1er au 25 mars
Au Théâtre d’Aujourd’hui
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