Louise Bédard / Sylvain Émard : Alter ego
Scène

Louise Bédard / Sylvain Émard : Alter ego

Dans quelques jours, Louise Bédard et Sylvain Émard présenteront, au Théâtre La Chapelle, un spectacle attendu: Te souvient-il? Attendu parce qu’il est à la fois signé et défendu par Bédard et Émard, des interprètes qui ont plus de vingt ans de métier et d’amitié.

On les croirait unis par le sang… tant Louise Bédard et Sylvain Émard partagent de points communs: une même présence discrète, un même désir farouche de protéger leur intimité, une même économie de mots, une même énergie souterraine et, surtout, un même regard humble posé sur leur carrière. Leurs chorégraphies, quant à elles, semblent couler de la même source: même sensibilité fragile et même désir de transcender les rapports humains.

Dans quelques jours, Louise Bédard et Sylvain Émard présenteront, au Théâtre La Chapelle, un spectacle attendu: Te souvient-il? Attendu parce qu’il est à la fois signé et défendu par Bédard et Émard, des interprètes qui ont plus de vingt ans de métier. Ils danseront un duo dont la première ébauche a été créée l’été dernier dans le cadre enchanteur de l’Université Bishop. «Au début, chacun devait monter un solo pour l’autre, explique Louise Bédard. Puis, l’idée de concevoir un duo s’est imposée à nous. Finalement, il compose les trois quarts du spectacle.» «On ne pouvait passer à côté d’un tel projet, car on ne sait pas au juste combien de temps on peut encore danser», ajoute son partenaire.

Leur union professionnelle n’étonne personne. Louise Bédard a dansé les premières oeuvres de son ami comme il a dansé les siennes. Entre-temps, ils ont été de la même aventure chez Jean-Pierre Perreault. Selon eux, ils partagent la même musicalité intérieure et le même souci du détail sur la scène. Sylvain Émard se souvient de sa première rencontre avec la jeune artiste frêle, à la détermination de béton, qui avait fait ses classes au groupe Nouvel Aire, aux côtés d’Édouard Lock et de Louise Lecavalier. C’était en 1986, à l’ouverture du centre chorégraphique Circuit-Est. «Je la connaissais comme danseuse et j’étais impressionné par son talent», dit-il.

Depuis, chacun a fait partie du OFF puis de la programmation du FIND, signé des oeuvres acclamées et raflé des prix prestigieux. Aujourd’hui, ces chorégraphes établis s’offrent le privilège de chorégraphier et de danser ensemble. Une aventure inédite pour laquelle peu de créateurs aguerris oseraient s’engager, par crainte de perdre leur identité artistique acquise après tant d’années d’effort. «J’ai même pensé que notre collaboration pouvait nuire à notre amitié», déclare Sylvain Émard. Sa partenaire le regarde, étonnée: aucun doute pour elle que leur projet renforcerait leurs liens professionnels et personnels. «Quelque chose de solide nous attache: on partage la même histoire, la même base. Ce projet exige de notre part une bonne confiance en soi et en son partenaire. Je ne l’aurais pas réalisé avec n’importe qui.»

Plus que son allié, Louise Bédard a l’habitude de prendre des risques, d’emprunter des sentiers singuliers, de mêler son talent avec celui de metteurs en scène, par exemple. Ses spectacles déclenchent un sentiment paradoxal chez le public: sa danse peut le faire pleurer et, l’instant d’après, lui casser la tête. Le travail de son confrère est moins éclectique mais tout aussi raffiné. Ce dernier se voue entièrement au langage du corps, sans toutefois faire appel à des artifices théâtraux. Ses oeuvres sont sombres et souvent intenses. Enfin, elles stimulent l’intelligence plus que les émotions.

Sylvain Émard commence à peine à s’engager dans des projets qui lui demandent d’endosser des décisions extérieures à lui. Par exemple, en septembre dernier, il a participé en compagnie de son amie Louise Bédard à un projet où il signait un solo avec des éclairages et une musique imposés. Voilà quelques mois, il a collaboré à la pièce de Normand Chaurette Stabat Mater. Dans Te souvient-il?, sa gestuelle se fond avec celle de sa partenaire. L’un et l’autre disent n’avoir jamais autant discuté de leurs points de vue et autant produit de matériel chorégraphique. «Nous avons l’habitude d’aller droit au but. Cette fois-ci, on a avancé à petits pas. Ça fait presque un an qu’on y travaille», dit Sylvain Émard. Ce processus fut exigeant pour le chorégraphe qui contrôle ses oeuvres de A jusqu’à Z. «Il n’y a pas si longtemps, je n’aurais jamais accepté un tel projet. Aujourd’hui, j’ai le goût de chambarder mes habitudes.»

Rapidement, Louise Bédard et lui se sont entendus sur le propos de leur spectacle: la fragilité des rapports humains, du temps et de la mémoire. Ils se sont aussi rapidement entendus sur le choix de leurs collaborateurs. Sylvain Émard a suggéré le nom de Pierre Bruneau, un artiste peintre qui travaille beaucoup avec un pigment phosphorescent. «Ses oeuvres me touchent énormément. Elles entretiennent un rapport troublant avec le temps.» Pierre Bruneau signe sa première scénographie en danse. Le scénographe Richard Lacroix lui a donné un coup de main. Le résultat enchante les chorégraphes. «Les toiles sont sobres et épurées et elles interagissent avec notre danse.» «Le plus difficile fut d’avoir créé à partir des décors, précise Sylvain Émard. Pierre nous les a montés avant même la création du duo. En outre, on ne voulait pas faire quelque chose de spectaculaire.»

Pour la musique, le duo s’est allié avec le compositeur Michel F. Côté. Collaborateur recherché en danse, ce dernier travaille avec Louise Bédard depuis plusieurs années. Il leur a conçu une musique feutrée, aux antipodes de ce qu’il fait généralement pour la chorégraphe.

Dernièrement, ils ont dansé des extraits de Te souvient-il? dans des maisons de la culture. Des spectateurs leur ont livré un commentaire qui résume bien leur danse: pendant l’heure, ils ont vu tour à tour la relation entre un frère et une soeur, une mère et son fils, un père et sa fille et deux amoureux. Espèrent-ils ainsi rallier le grand public? «C’est à lui de juger. Nous, on est dedans par-dessus la tête! Une chose est sûre, on a beaucoup de plaisir à travailler ensemble», conclut Sylvain Émard.

Du 15 mars au 1er avril
Au Théâtre La Chapelle
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