Philippe Ducros : Invitation au voyage
Scène

Philippe Ducros : Invitation au voyage

Heureux qui comme… Philippe Ducros a beaucoup voyagé. Créé à l’Espace Libre, Le 4e round combine les deux grandes passions de ce créateur autodidacte: le théâtre et les  voyages.

Heureux qui comme… Philippe Ducros a beaucoup voyagé. Créé à l’Espace Libre, Le 4e round, dont il signe le texte et la mise en scène, combine les deux grandes passions de ce créateur autodidacte (qui a beaucoup joué pour Omnibus, The Other Theatre et pour le jeune public): le théâtre et les voyages.

«Mon but, c’était de faire un spectacle d’aventures, expose ce grand bourlingueur, qui a sillonné le Moyen-Orient. Comme quand on va au cinéma, on est captivé par l’histoire, on se demande ce qui va se passer. J’ai voulu recréer ça au théâtre: que l’histoire soit vraiment l’élément central. Les scènes sont courtes, s’enchaînent rapidement. Je ne peux pas dire que j’ai travaillé une minute à écrire ce spectacle-là, ç’a a été juste du plaisir.»

La prémisse de cette oeuvre est un fait véridique que Philippe Ducros a lu… dans une bédé d’Hugo Pratt, papa de Corto Maltese! À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, en Éthiopie, un combat est organisé entre un boxeur arménien, Mardekian (Dany Michaud) et le Turc Keller (Richard Lemire), neveu d’Enver Bey, l’un des responsables du massacre des Arméniens en 1915. Inutile de dire que la garnison arménienne cantonnée à Addis-Abeba, assoiffée de vengeance, mise beaucoup sur son poulain…

Le génocide d’un million et demi d’Arméniens sert donc de toile de fond à cette «épopée moyen-orientale». Un cas-type. «Le Rwanda ou le Kosovo, c’est trop frais, on découvre encore plein de choses. Tandis que le massacre des Arméniens, non reconnu officiellement par les historiens, tombe un peu dans l’oubli. C’est dommage, mais ça me permettait d’avoir du recul pour parler du principe du génocide, des massacres qu’on peut vivre de nos jours. C’est plus ou moins le premier génocide du XXe siècle. Et mon Dieu qu’il y en a eu beaucoup…»

Mais, insiste l’auteur qui a déjà «vendu des tapis à Istanbul», il ne prend aucun parti pris national. Et le show ne prétend pas à la rigueur historique. «C’est ma vision à moi, Québécois, sur ces pays-là, dont la culture m’attire énormément. Les choses que je trouve théâtrales, belles. C’est de l’évocation.»

Au menu de cette pièce au parfum exotique, qui nous balade de Turquie à New York: un combat («Tous ceux qui font de la scène devraient aller voir un match de boxe. Si vous voulez voir une foule animée et impliquée dans le spectacle…»), une rencontre avec Saint-Exupéry, un meurtre, des rebondissements… et même de la magie. Tout le mysticisme qu’on retrouve en Afrique du Nord. «Moi je suis athée, mais je me surprends à croire à la magie quand je suis dans ces pays-là, dit le jeune auteur. Je me surprends à croire qu’une femme peut me donner le mauvais oeil…»

La pièce se déroule à une époque-charnière: 1945, alors que la fin de la guerre, avec l’arrivée des communications de masse, et l’hégémonie des États-Unis, sonne la mort de l’irrationnel, de la tradition orale. «Avant la prolifération de la télé, on ne pouvait pas prétendre savoir ce qui se passait dans le reste du monde, explique Philippe Ducros. Maintenant, avec l’an 2000, il y a un retour du sacré. Les gens veulent retrouver quelque chose de tribal.»

Mais dans Le 4e round, la réflexion ne prend jamais le pas sur le récit. «Je ne veux pas que les gens se posent des questions philosophiques pendant le spectacle. Ils se les poseront chez eux, s’il y a lieu.» Ce touche-à-tout de 28 ans a appris à établir un contact direct avec le public: il a monté des autogérés, des happenings dans des raves, fait du théâtre de rue, mis en scène le Circo de Bakuza, au dernier Festival Juste pour rire, et commencé à écrire lors de soirées de poésie, dans les bars, là où le public ne se gêne pas pour huer ou crier: «Tu te branles sur scène!», quand l’auteur donne dans la complaisance….

Il aime le côté événementiel du théâtre, et attribue le succès de pièces comme L’Odyssée ou Don Quichotte à notre soif d’histoires. «La fête, la vocation de conteur du théâtre, ça me parle beaucoup. J’ai voulu faire un spectacle qui n’était ni intellectuel, ni psychologique, qui n’était pas une grande vision de metteur en scène. J’ai voulu vraiment emmener le public en voyage, qu’il plonge dans ces pays-là pendant la durée du spectacle. J’ai appelé ma compagnie Les Productions Hôtel-Motel parce que, en ce moment, c’est ça que je veux faire: des shows de voyages, qui nous sortent de notre quotidien. Je crois beaucoup que plus on connaît ces pays, plus on va être tolérant face à la multiethnicité.» L’enthousiaste créateur rêve de tournées internationales…

Ici, on nous dépayse rarement sur scène. Le théâtre québécois serait-il trop nombriliste? «Je crois énormément à l’importance de Michel Tremblay dans le théâtre québécois, mais je suis un peu tanné de ces thèmes-là. De "mon père est un alcoolique, ma mère est une prostituée", et on parle de ça autour de la table de la cuisine… Je suis un peu tanné qu’on parle de nous tout le temps de la même manière. Je pense que les Québécois sont rendus ailleurs qu’à parler de problèmes de p’tite vie, de tolérance en famille, etc. C’est important, mais on en a parlé beaucoup, je trouve. On pourrait peut-être passer à autre chose…»

Du 9 au 25 mars
À l’Espace Libre
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