Évelyne Rompré : Les grandes espérances
Depuis quelques mois, les prix «pleuvent» sur Évelyne Rompré. Pour cette comédienne qui a ébloui public, critique et milieu théâtral, rien n’est pourtant gagné. Rencontre avec une amoureuse de la scène, qu’on retrouvera bientôt dans Les Mains d’Edwige au moment de la naissance, de Wajdi Mouawad.
Évelyne Rompré a vu son travail de la saison 1998-1999 salué de nombreux prix: prix des abonnés du Trident, prix Nicky-Roy à la Soirée des Prix d’excellence des arts et de la culture de Québec, Masque de la révélation à la Soirée des Masques; la pièce Ines Pérée et Inat Tendu, dans laquelle elle incarnait Ines, s’est mérité le prix de la critique et le Masque de la production «Québec». Pourtant, elle n’aime pas trop parler de ces prix: «Dans ce métier, c’est toujours à recommencer; cette année, tout peut changer…»
Edwige
Pour la comédienne, la suite se jouera au Périscope. Elle sera l’Edwige de Wajdi Mouawad, dans Les Mains d’Edwige au moment de la naissance. Dirigée par Michel Nadeau, qui à titre de directeur du Conservatoire la connaît très bien, elle travaille avec plaisir à ce nouveau spectacle. Le metteur en scène installe une ambiance idéale pour cette jeune comédienne peu sûre d’elle-même: «Michel nous fait tellement confiance!» Comme elle, plusieurs des comédiens et concepteurs ont collaboré, cet automne, avec Wajdi Mouawad, metteur en scène des Troyennes. Ils sont déjà familiers avec l’univers de Mouawad, ce qui facilite l’approche de cette pièce, la première qu’il a écrite, alors dans la vingtaine. «C’est quelqu’un qui a un univers très particulier, explique Évelyne Rompré. Il a vécu des choses qu’on ne connaîtra jamais; il s’est accroché au spirituel, à l’intégrité, à ses idées. J’ai été contente de le connaître avant de jouer ce rôle, ça m’apprend beaucoup.»
Les Mains d’Edwige au moment de la naissance raconte un moment particulier dans la vie d’une famille très pauvre, que Michel Nadeau campe quelque part en Europe de l’Est. Edwige, la cadette, a un don: «Lorsqu’elle prie, une eau pure coule de ses mains.» Dix ans après le départ de sa soeur Rachel – «dix ans, jour pour jour, nuit pour nuit» – disparue on ne sait où, sa famille décide de faire à l’absente des funérailles. Prétexte pour «montrer» Edwige, et «monnayer» son don. Rebelle, Edwige s’oppose sa famille. Et c’est la suite de cette étrange journée, où chacun rend visite à Edwige dans la cave sombre où elle se réfugie, que raconte la pièce.
La comédienne dit aborder le personnage simplement: «C’est une adolescente de 15 ans qui, comme tous les adolescents, est en opposition à ses parents. Elle a le courage et la force de l’adolescence; Edwige est très digne, très intègre, très résistante au mal, aux ténèbres.» Même s’il est question ici de prière, Évelyne Rompré et Michel Nadeau ne font pas d’Edwige une mystique. C’est une adolescente qui possède un don parfois embarrassant, et qui refuse l’hypocrisie du monde adulte cherchant à en tirer profit. «Ce n’est pas une petite sainte, au contraire.»
Révoltée par la mesquinerie de sa famille, Edwige, dans son acharnement à refuser qu’on enterre celle qu’elle croit toujours vivante, rappelle Antigone. La même pureté, la même soif d’absolu et le même entêtement chez les deux personnages: «Elles ont toutes deux, observe Évelyne Rompré, le respect de la mort, le respect des corps.»
Poétique, la pièce montre le combat de la pureté avec le mensonge, de l’ombre avec la lumière. «C’est une pièce sur l’espoir. Edwige croit en la vie, en l’amour, dans un monde sombre où chacun pense uniquement à soi, s’occupe de sauver sa propre âme. Dans le fond, Edwige, c’est la petite fleur qui pousse dans le dépotoir…»
Côté «cours»
Ce rôle s’inscrit dans une carrière marquée déjà de spectacles importants pour Évelyne Rompré qui a terminé ses études au Conservatoire d’art dramatique de Québec en 1997.
Réfléchissant à l’origine de son goût du théâtre, elle confie: «C’est très classique comme histoire. Depuis que je suis toute petite, c’est ça que je veux faire.» Pendant ses études secondaires, elle suit des cours de théâtre: «L’univers dans lequel je me sentais ultra-bien, c’était là.» De là à sauter aux auditions du Conservatoire après un cours collégial en sciences humaines, un seul pas. Franchi allègrement, pour aller vers ce qui lui est toujours apparu come une certitude: «Je ne me suis jamais posé de questions; c’est vraiment là-dedans que je me sens le mieux, malgré tout le stress.»
Côté scène
Jetant un oeil sur sa carrière jusqu’ici, la jeune femme affirme: «J’ai vraiment été chanceuse, j’ai eu de beaux rôles.»
Ses études terminées, elle a d’abord incarné le rôle-titre de Yvonne, princesse de Bourgogne, de Witold Gombrowicz, en 1998 au Trident. Pour sa première production professionnelle, un rôle presque muet, assumé avec une intensité remarquable. «C’était bien; c’est une entrée qui se faisait doucement.» Puis ce fut Miranda dans La Tempête, mise en scène par Robert Lepage, aux côtés de Paul Hébert en Prospéro. Autre moment d’apprentissage avec des artistes d’expérience, simples et accessibles. Elle est ensuite la Grouchegnka des Frères Karamazov à La Bordée, avant de jouer le rôle d’Ines dans la superbe production Ines Pérée et Inat Tendu, au Trident. Enfin, elle devient la déesse Athéna dans Les Troyennes, tragédie mise en scène par Wajdi Mouawad l’automne dernier. Autant de rôles, autant d’occasions d’approfondir son métier.
«Quand on finit l’école, on ne sait pas comment jouer. Moi, je ne le sais pas encore; je joue de façon très instinctive. Je n’ai pas beaucoup d’expérience, je n’en suis qu’à mon sixième spectacle professionnel. Alors, je suis encore à l’école: une autre école, qui commence après le Conservatoire. Et j’apprends: en jouant, en regardant les autres, en parlant avec les metteurs en scène.»
Étape importante de cette expérience: Ines Pérée et Inat Tendu, au Trident. Se rappelant la préparation de ce spectacle, Évelyne Rompré raconte: «C’était vraiment un gros morceau, un rôle difficile à comprendre. Au début, j’avais peur un peu; je ne pensais vraiment pas y arriver. Mais finalement, ça s’est bien passé. Quand on a commencé à jouer, j’ai vraiment eu du plaisir.»
Ce plaisir de l’interprète semble confirmé par les prix qui honorent depuis quelques mois son talent et son travail. «uste d’avoir passé au travers, et que les gens aient bien aimé, je suis contente. Mais cette année, de recevoir en plus des prix pour ça, c’était formidable, parce que j’ai travaillé tellement fort. Mais, en même temps, c’est passé; lors du Gala des Masques, je répétais déjà pour Edwige. Et le même stress revient pour Edwige, ou pour tout autre spectacle à venir. C’est toujours à recommencer; mais c’est sûr que de recevoir des prix, c’est un beau velours, une belle claque d’encouragement.»
Le plaisir du jeu
Si l’appréciation du public et du milieu sont maintenant clairs, son bonheur sur scène a toujours été certain. De quoi est-il fait? Question difficile, pour celle qui se qualifie d’intuitive, dans son jeu et parfois dans ses choix. Pourtant, la réponse ne tarde pas: «Quand tu es sur une scène et que tu joues, ça apporte tellement! Tu te découvres, tu découvres une humanité que tu ne soupçonnais pas en toi… Et de recevoir des applaudissements, c’est tout un salaire!»
Pour Évelyne Rompré, l’équipe de travail compte aussi beaucoup. Elle apprécie les liens privilégiés qui s’installent entre les artistes lors d’une production: «Ce qui est plaisant dans ce métier-là, c’est que c’est un métier de rencontres.» Elle ajoute: «J’ai besoin des autres. J’ai besoin de sentir qu’on est un clan, qu’on défend une pièce, ensemble. Tout le monde doit défendre la même idée, sinon ça ne marche pas. Si on n’y croit pas, qui va y croire?»
Comment composer, toutefois, avec les incertitudes du métier? «Bien sûr, il y a des facettes de ce métier-là qui me stressent. Mais ce que j’aime, c’est d’être sur une scène et de jouer.» Son secret? «J’aime ce que je fais, et je pense que ça, c’est important. Mais je crois que ça prend une sorte… d’inconscience. Il faut faire confiance à sa "bonne étoile". Saisir le moment, en profiter le mieux qu’on peut, et le vivre à fond.»
Du 21 mars au 15 avril
Au Théâtre Périscope
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