Frédérick ou le boulevard du crime : Bébel 1 er
Scène

Frédérick ou le boulevard du crime : Bébel 1 er

Depuis Paris, et même transformée par le téléphone, la voix de Jean-Paul Belmondo est troublante. Cette voix-là, facilement moqueuse, c’est du cinéma interactif.

Depuis Paris, et même transformée par le téléphone, la voix de Jean-Paul Belmondo est troublante. Cette voix-là, facilement moqueuse, c’est du cinéma interactif. Et pourtant, ce n’est pas tout à fait celle de L’Homme de Rio. Plus posée, elle a une tonalité basse, un rien plus chic. Normal: Bébel est devenu monsieur Belmondo, un patriarche aux cheveux blancs, une personnalité respectable dans le tout-Paris. Plus question de se moquer de ses clowneries; on apprécie, on applaudit, on ovationne.

Jean-Paul Belmondo a quitté les planches en 1959. C’était l’année d’À bout de souffle. Il n’y est revenu, avec Kean, qu’en 1987! Après presque trente ans, l’acteur a si bien renoué avec ses anciennes amours, qu’il a enchaîné avec Cyrano, Tailleur pour dames et La Puce à l’oreille de Feydeau, et enfin Frédérick ou le boulevard du crime, d’Éric-Emmanuel Schmitt, dans une mise en scène de Bernard Murat. Pour cette dernière pièce, écrite spécialement pour lui par Schmitt (auteur qui collectionne les succès, avec Le Visiteur, Variations énigmatiques et Le Libertin), Jean-Paul Belmondo porte la dégaine de Frédérick Lemaître, acteur immense qui fut le roi du théâtre sur les Grands Boulevards au siècle dernier. Pour lui, il entame une tournée internationale, qui va le mener jusqu’ici, au Théâtre Saint-Denis. «Ce n’était pas possible de donner ce rôle à quelqu’un d’autre, s’esclaffe-t-il. J’ai trop envie de le jouer! Pareil pour Rostand: si je n’avais pas lâché Cyrano, j’y serais encore!» L’artiste est gourmand, il a déjà joué Frédérick 250 fois à Paris; et cette tournée, qui va aussi en Belgique, en Suisse, au Japon, en Russie et en Espagne, lui permettra de la rejouer une cinquantaine de fois. Peu importe, Belmondo se dit fasciné par Frédérick Lemaître, jadis interprété au cinéma par Pierre Brasseur dans Les Enfants du paradis. L’acteur collectionne tout ce qui lui a appartenu – il est même allé jusqu’à acheter le Théâtre des Variétés à Paris, il y a dix ans, le théâtre de Lemaître.

Belle passion, mais que peut transmettre un personnage très parisien du XIXe à un public japonais ou canadien du XXIe? «Lemaître était un type flamboyant, démesuré, mais il savait jouer la nuance. C’était un romantique. On imagine que les jeunes d’aujourd’hui ne veulent que du rap; mais Frédérick les touche! On réagit à son émotion, à son panache. Moi, quand j’étais jeune, j’allais écouter Laurence Olivier qui jouait Shakespeare, se souvient-il. Je ne parlais pas un mot d’anglais et j’adorais ça!»

Si Belmondo est d’attaque pour affronter des publics si différents soir après soir, pays après pays, c’est qu’il se sent aussi sûr du charme de Frédérick que des mots d’Éric-Emmanuel Schmitt. «On ne se lasse pas de ce texte, il est rempli de tiroirs et de personnages. Je passe du comique à l’émotion, du grandiose au sentimental.»

Schmitt se dit attiré par les acteurs comme Lemaître, parce qu’il voit en eux «une certaine incapacité à être heureux». Réponse de Belmondo: «Moi? Ça va! J’accroche mon costume tous les soirs, et la vie continue.» La vie et le cinéma, puisque le comédien, tout aussi respectable qu’il soit, veut bien lâcher les cascades mais pas le grand écran, et on le verra dans Peut-être, le prochain film de Cédric Klapisch. «Pour l’instant, dit-il, j’assouvis mon plaisir du théâtre, parce que j’y trouve des rôles qui me manquent au cinéma.» Et cela sous-entend des rôles plus grands que nature, des forts en gueule, avec du panache et une verve à la Michel Audiard…

Du 22 au 30 mars
Au Théâtre Saint-Denis 1
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