Patrick Goyette : L'envers de la médaille
Scène

Patrick Goyette : L’envers de la médaille

Après une éclipse d’un an, le comédien Patrick Goyette remonte sur la scène pour jouer Maître Puntila et son valet Matti, une pièce de Bertold Brecht écrite en 1940 et rarement présentée au Québec.

Après une parenthèse de deux ans, à parcourir la planète avec la gang des Sept branches de la Rivière Ota, et à beaucoup apprendre à l’école de Robert Lepage (pour qui il a aussi tourné deux films, Le Confessionnal et Le Polygraphe), Patrick Goyette a repris sa place dans le paysage théâtral montréalais. Depuis une couple d’années, le comédien a doucement refait sa niche ici. On voit son intense présence physique au petit et grand écran. Et sur scène où, après une éclipse d’un an, le polyvalent artiste s’avoue toujours heureux de revenir.

«C’est important pour moi, explique-t-il. Le théâtre nous permet souvent de nous confronter à des rôles plus complexes que ceux du cinéma ou de la télé. De nous mesurer à de grands auteurs, à des textes d’une grande richesse, et de découvrir plein de choses.»

Des auteurs «brillants» comme Bertolt Brecht, dont Patrick Goyette s’apprête à jouer Maître Puntila et son valet Matti, une pièce écrite en 1940 et rarement montée ici. Mise en scène par Guillermo de Andrea, cette comédie joue sur la dualité d’un riche fermier (incarné par Raymond Bouchard), que l’alcool rend semblable à… l’humain. Avec plusieurs verres dans le nez, le maître copine joyeusement avec les domestiques, adresse de généreuses paroles, songe même à donner sa fille Èva (Isabelle Blais) en mariage à son brave valet Matti (Goyette). Mais bientôt il dégrise, et le revoilà calculateur, capitaliste et tyrannique…

On n’échappe pas si facilement à sa condition. «Je pense qu’il y a chez les personnages de Puntila et d’Èva le désir de s’approcher de la classe ouvrière, du côté humain. Les bourgeois ont l’air de s’ennuyer. Matti accepte de jouer le jeu, parce qu’il trouve ça particulier de voir cet homme conscient de sa condition de bourgeois capitaliste. Mais il réalise à la fin que les classes sociales ne peuvent pas se mêler. Parce qu’en fin de compte, quand Puntila est soûl, son humanisme est une utopie: il restera toujours le maître, parce qu’il n’est pas capable de laisser son pouvoir, son argent.»

La vision critique de l’auteur de L’Opéra de quat’sous passe par cette illustration de la dualité humaine, et par un drôle de renversement de perspectives. «Puntila se considère malade: il dit qu’il a des accès de sobriété et que son état normal, c’est l’ivresse! Et chez Matti, je pense qu’il y a ce désir de se dire que c’est peut-être possible d’unifier les deux Puntila: le sobre et le soûl. Mais il voit que c’est impossible, parce que Puntila défait toujours, quand il devient sobre, ce qu’il avait décidé quand il était ivre. Et vice versa.»

Une pièce de Brecht-le-marxiste (dont la dernière incursion sur nos scènes remonte à Mère Courage, présentée aussi au Rideau Vert), à l’époque du capitalisme triomphant – de plus en plus remis en question, il faut bien le dire?

Patrick Goyette y voit d’indéniables résonances, dans notre ère des mégafusions.

«C’est une comédie, ce qui aide à briser l’élément didactique, ajoute le comédien. Et ce qui est intéressant, c’est que Brecht n’a pas fait du personnage de Matti un héros qui défend la cause marxiste. Il est capable de fonctionner à l’intérieur du système, mais il défend toujours sa dignité. Quand il sent qu’il n’est pas respecté, il pose un geste. Je pense que c’est un besoin vital de rester humain, parce qu’il est traité comme une bête. Mais c’est pas du tout un révolutionnaire. Il est là comme individu.»

Drôle de duo. Aux côtés d’un Puntila exubérant, qui oscille d’un extrême à l’autre, le lucide Matti – bien dans la tradition des valets intelligents – fait entendre la voix de la raison. Le porte-parole de l’auteur joue de retenue. «Il y a un élément de ce personnage qui est presque un miroir, opine son interprète. Parfois, quand Puntila parle, c’est sa propre conscience qu’il a devant lui. Le regard de Matti, c’est comme un miroir de son propre dilemme intérieur. Donc, le personnage doit rester énigmatique, sérieux, et trouver les moyens d’avoir cette distance.»

Un dosage difficile à atteindre. «Pour moi, ce personnage, c’est un défi. Premièrement, il ne faut pas qu’il devienne moraliste, parce qu’il fait beaucoup de jeux d’esprit. La difficulté, c’est de trouver la ligne juste. Il n’est pas trop en avant, et en même temps, il faut qu’il vive un certain conflit intérieur pour que ça devienne intéressant. Le fait d’être en retrait amène une complexité. Jusqu’où puis-je aller, sans perdre le mystère? Et si je suis trop en retrait, il n’y a plus rien qui passe.»

Le réservé comédien vit lui-même une sorte de déchirement face à son métier. Une médaille a deux côtés. «C’est paradoxal, confie-t-il. J’aime être sur scène. Mais c’est une expérience qui peut être difficile pour moi. Parce que ça implique beaucoup d’insécurité, d’angoisse, le sentiment de ne pas être à la hauteur, le fait d’être confronté peut-être à des démons intérieurs et d’avoir peur du regard des autres. Quand tu joues, il y a un désir de s’exposer. Mais s’exposer, ça veut aussi dire la possibilité d’être rejeté par le regard d’autrui. Pour moi, il y a deux côtés: un désir d’être là, mais aussi un désir d’apprendre à me libérer du regard de l’autre, de pouvoir dire: c’est ce que je suis, je l’accepte, que les gens aiment ou pas.»

«Il y a eu des moments où j’étais tanné de jouer. En même temps, j’y reviens et je suis passionné par ça. Alors, je me suis dit: je ne suis pas là pour rien, il y a une raison pour laquelle je me mets dans cette position-là. Mais je dois avouer qu’elle n’est pas juste faite de bonheur et de plénitude. C’est confrontant pour moi de jouer. Et je pense que j’ai besoin de me confronter à ça. Pour essayer de m’épanouir, de me libérer et de trouver le moyen de laisser aller ma créativité, en trouvant une certaine paix intérieure.»

Du 14 mars au 8 avril
Au Théâtre du Rideau Vert
Voir calendrier Théâtre