Carole Fréchette : La quête
Souvent produites d’abord à l’étranger, les pièces de l’auteure montréalaise Carole Fréchette montrent des personnages en quête de quelque chose. La Licorne présente sa plus récente oeuvre.
La vie a parfois le don de donner des rappels. Carole Fréchette avait dû attendre sept ans avant de voir sa pièce primée, Les Quatre Morts de Marie, trouver preneur ici. Sa nouvelle oeuvre, Les 7 jours de Simon Labrosse, a déjà connu deux productions en France, bientôt trois, une à Bruxelles et aussi à… Jonquière. Tout ça avant d’être repêchée par La Licorne. Après seulement quatre ans de limbes montréalaises…
«Ça s’améliore, s’esclaffe l’auteure. Pourtant, à la lecture de Simon…, lors de la Semaine de la dramaturgie, tout le monde m’avait dit: "Tu vas voir, celle-là, ça va aller vite." C’est une pièce encore plus accessible et que je considère comme très québécoise. Je trouve ça très bizarre qu’elle ait été montée en France en premier. J’avais l’impression que c’était plus local, et au contraire, de petites compagnies françaises s’en sont emparées. Mais c’est important pour moi d’être entendue par ma société. C’est elle qui m’inspire.»
Créée dès la semaine prochaine à La Licorne, dans une mise en scène de Martin Faucher – l’accoucheur montréalais des Quatre Morts… -, la pièce traite notamment du contexte socioéconomique actuel. Budget provincial ou pas… «Ça me fait rire, parce que je voyais le budget ce matin, et on est en surplus, constate Carole Fréchette. Alors que j’ai écrit Simon Labrosse en 93-94, au moment où il n’était question que de déficit et de dette nationale, et où on avait l’impression qu’on ne s’en sortirait jamais… Et au moment où j’ai quitté mon travail au Conseil des Arts du Canada pour écrire à temps plein. J’ai laissé mon boulot en plein coeur de la crise – tout le monde me disait: "Mais t’es folle!" – et j’étais très angoissée. Et je pense que j’ai passé toute cette angoisse dans Simon Labrosse, un personnage qui essaie de faire sa place. J’étais très touchée par ce qu’on lisait sur les nouveaux pauvres, et je sentais une inquiétude autour de moi.»
La précarité, donc. «Mais je pense qu’à un autre niveau, la pièce parle de quelque chosequi dépasse ça: la solitude fondamentale de l’être humain, la difficulté à communiquer. Peut-être que c’est une pièce sur la survie. Je trouvais qu’on était dans une époque de survie. Et dans des contextes difficiles, c’est chacun pour soi. Il y a une critique d’une société qui fonctionne au profit, à la réussite, où on doit se défendre tout seul.»
Pour Carole Fréchette, dont les textes ont «toujours un pied dans le réel et un autre dans l’imaginaire», et ne sont généralement pas ancrés dans une réalité identifiable, cette oeuvre-ci est certainement, dit-elle «ma pièce où il est le plus question, de façon explicite, de la société. J’ai tendance à vouloir écrire des mondes un peu suspendus. Mais là, j’avais envie de parler de ces choses qu’on lit dans les journaux. Mais ce n’est pas une mise en accusation. Parce que je pense aussi que c’est un peu le sentiment général: on ne sait pas qui accuser. Dans les années 60-70, il y avait des analyses qui disaient: il faut changer le système. Là, on ne sait même pas quoi changer. De temps en temps, on s’arrête, on dit: ça n’a pas de bon sens. Mais on ne sait pas quoi faire avec ça. Il y a comme un sentiment d’impuissance.»
Simon Labrosse est le premier protagoniste masculin imaginé par la dramaturge. «Parfois, je dis que c’est mon premier homme, rigole-t-elle. C’est venu spontanément. Un personnage masculin, ça m’autorisait une légèreté, une distance. Je suis contente, ça m’a permis d’écrire autrement. L’énergie masculine nous permet de dire autre chose. Il y avait chez ce gars-là quelque chose d’entreprenant, d’un peu clownesque.»
À défaut d’argent, Simon (Daniel Parent), chômeur de son état, ne manque pas de ressources d’imagination pour essayer de gagner sa pitance. Chaque jour, il s’improvise un nouveau métier, proposant aux gens un service inédit, loufoque, mais reposant pourtant sur de réelles lacunes: cascadeur émotif, finisseur de phrases, spectateur personnel… «Ça répond à de vrais manques, selon moi. Évidemment, j’en fais une farce, mai il y a quelque chose de très sérieux là-dedans. Ce sont des manques profonds: avoir besoin d’être regardé, ne pas être capable de s’exprimer ou d’exprimer ses émotions. Pour moi, le comique prend racine dans le vrai, dans de vrais manques qui pourraient être traités autrement, de façon tragique.»
Les 7 Jours de Simon Labrosse est la comédie de Carole Fréchette la plus franche à ce jour. «Mais il y a toujours de l’humour dans ce que j’écris, à un certain degré. Pour moi, c’est très important. Il faut toujours qu’il y ait une petite part de moi un peu en retrait. Et peut-être aussi parce que je crois qu’au théâtre, il doit y avoir une part de séduction dans ce qu’on écrit. Si on veut que les gens nous écoutent. Quand j’ai écrit Simon, j’avais beaucoup envie d’un contact direct avec le public. Je trouvais que le théâtre devenait très esthétique. C’est une chose qui me préoccupe énormément, le rapport avec le public. Et là j’avais envie de lui dire: on fait ça pour vous, et après, vous allez vous sentir mieux. C’est ce que Simon dit. J’ai été inspirée par la forme cabaret, popularisé par Karl Valentin.»
Avec le concours de deux amis (Sophie Vajda et Philippe Cousineau) qui accordent assez peu de bonne volonté, étant plutôt centrés sur leurs propres besoins, Simon met donc en scène sa vie au bénéfice du public. Dans le but avoué d’amasser des sous, mais peut-être, également, histoire d’avoir une prise sur son existence. «Pour moi, écrire, c’est donner une forme à la vie, opine Carole Fréchette. La vie est informe, elle circule en nous. On a besoin de dire: voici une histoire qui commence ici, finit là. Cela comporte quelque chose de rassurant. C’est comme une façon d’arrêter cette espèce de courant, et de lui donner une forme pendant un certain temps. Peut-être que tout ça est futile, qu’il n’y a pas de sens. Mais je pense que les artistes servent à ça: à créer des formes dans l’informe.»
Simon, ce personnage «seul face au monde», où il veut faire sa place, amoureux d’une fillemythique et lointaine, possède une parenté certaine avec ses deux prédécesseures. Un manque. «À un moment donné, je me suis rendu compte que ces trois pièces-là, Les Quatre Morts de Marie, La Peau d’Élisa et Simon Labrosse, si différentes soient-elles, avaient plusieurs choses en commun. Dont un personnage central en quête de quelque chose, de sa vie, de sa survie, souvent à travers la parole, l’acte de se raconter. Il y a un cycle là-dedans, avec trois personnages dans leur solitude. C’est comme une volonté d’exister. Et j’ai écrit ces trois pièces quand j’étais en train de me constituer comme auteure, engagée dans cette lutte pour exister publiquement, et aussi, peut-être, en train de trouver qui j’étais comme personne humaine.»
Sa nouvelle pièce, provisoirement intitulée Jean et Béatrice, à l’étape de l’atelier, devrait amorcer un autre cycle. Et que dire de la suivante: une première commande, par trois théâtres (deux canadiens et un français), sur l’univers des mines!
Carole Fréchette voit quand même de l’espoir chez Simon Labrosse. «Je sais que c’est mince. Mais je ne trouvais pas ça désespéré quand je l’ai écrit, parce que je sentais de la vitalité dans ce personnage. Pour moi, l’espoir est dans sa combativité, sa capacité d’imaginer. C’est cette espèce de quête d’absolu qui nous fait vivre et avancer; même si on sait que l’on ne trouvera pas cet absolu.»
Du 28 mars au 29 avril
À La Licorne
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